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Nous lisons dans l’autre :

Attaquons dans leurs murs ces conquérans si fiers ;
Qu’ils tremblent à leur tour pour leurs propres foyers !


Ou encore :

Eh bien ! brave Acomat, si je leur suis si cher,
Que des mains de Roxane ils viennent m’arracher.

On prétend que ces rimes sont nées de ce qu’on faisait sentir l’r dans arracher : c’est une erreur. Ici, comme presque sur tout ce qui concerne l’ancienne langue, on a pris le contre-pied de la vérité. Ces rimes sont un archaïsme ; elles étaient fort bonnes jadis, non pas que l’on prononçât l’r dans arracher, dans foyer, dans altier ; mais on ne le prononçait pas dans fier ni dans cher, on disait fié, ché, et de la sorte l’oreille était satisfaite. Il n’y a donc de véritable distinction entre les terminaisons masculines et féminines qu’autant qu’on ne fait pas sentir les consonnes finales. Il est certain que cette extinction des consonnes finales a été plus générale dans l’ancienne langue que dans la moderne. Mais a-t-elle été jamais complètement rigoureuse, comme l’a prétendu un ingénieux auteur ? Je ne sais ; quoi qu’il en soit, il est raisonnable de faire dans cet essai comme ont fait les anciens, et de ne pas distinguer les rimes féminines et masculines, d’autant plus que, même dans notre poésie moderne, qui se pique de s’y astreindre, la différence est purement nominale. Il ne suffit pas d’appeler masculine ou féminine une terminaison ; il faut encore que la prononciation s’y accorde ; or, la prononciation actuelle donne un fréquent démenti à une règle uniquement fondée sur l’orthographe.

Nos anciens poètes n’ont pas connu la recherche de la rime riche, et ils se sont contentés de la rime la plus pauvre, pourvu qu’elle sonnât à l’oreille. En ceci encore j’ai suivi leur exemple. Quelque intérêt qu’on ait attaché à la rime riche, je ne puis y voir que le mérite de la difficulté vaincue. Ce mérite, à vrai dire, me touche peu ; je ne suis pas de ceux qui admirent du sonnet les rigoureuses lois, et je pense que notre vieille poésie a satisfait, sans les dépasser par un labeur inutile, aux exigences de l’oreille.

En cet état, quelles que fussent les facilités de la rime, nos anciens poètes les ont encore augmentées par les licences multipliées qu’ils se permettent. Ils modifient les voyelles finales, ils changent les consonnes, ils ajoutent des syllabes, ils en retranchent, aucun scrupule ne les arrête, et il est manifeste qu’entre leurs mains les mots sont une argile qu’ils peuvent pétrir à leur gré. Pour des esprits habitués, comme les nôtres, aux rigueurs de la grammaire, rien n’est plus étrange que de pareilles libertés, et l’on prend pour autant de barbarismes toutes ces