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De nombreuses traces sont encore visibles qui témoignent que la prononciation d’Homère différait notablement de celle qui prévalait au moment où son texte a été fixé définitivement. Un érudit a essayé de rétablir d’après ces indices la vieille prononciation, la vieille orthographe d’Homère. On peut affirmer que, mieux cette entreprise de restauration aurait réussi, plus le texte ainsi rétabli aurait paru étrange et méconnaissable aux contemporains de Plutarque, d’Alexandre et de Platon ; mais l’intérêt que les Grecs attachaient à ces récits d’autrefois, le charme puissant de cette poésie toujours si simple et quelquefois si sublime, et le chant traditionnel des rapsodes, empêchèrent l’Iliade et l’Odyssée de rester ensevelies dans la langue du IXe siècle avant l’ère chrétienne et de devenir inintelligibles pour les Grecs des temps postérieurs, comme le devinrent les poésies saturnines pour les Romains de Cicéron et d’Auguste, comme le sont devenues pour nous nos vieilles poésies.

Mon intention n’est pas de bannir l’étude de l’ancienne orthographe ; mais je pense que ce qui est des érudits doit être réservé exclusivement aux érudits. Pour eux l’orthographe ancienne a cessé d’être un obstacle, et elle fournit des renseignemens utiles soit sur l’étymologie, soit sur la grammaire : elle fournira aussi, quand on le voudra, de bonnes indications pour la réformation de notre orthographe moderne, qui offre tant de surcharges, d’inconséquences et de pratiques vicieuses. Ainsi l’habitude commune dans les anciens textes de ne pas écrire les consonnes doublées qui ne se prononcent pas, et de mettre arêter, doner, apeler, etc., mériterait d’être transportée dans notre orthographe. On écrit dans les anciens textes au pluriel sans t les mots enfans, puissans, etc. ; cette orthographe, depuis long-temps proposée par Voltaire, est un archaïsme bon à renouveler. Ceux qui s’effraieraient du changement d’orthographe ne doivent pas se laisser faire illusion par l’apparente fixité de celle dont ils se servent. On n’a qu’à comparer l’orthographe d’un temps bien peu éloigné, le XVIIe siècle, avec celle du nôtre, pour reconnaître combien elle a subi de modifications. Il importe donc, ces modifications étant inévitables, qu’elles se fassent avec système et jugement. Manifestement le jugement veut que l’orthographe aille en se simplifiant, et le système doit être de combiner ces simplifications de manière qu’elles soient graduelles et qu’elles s’accommodent le mieux possible avec la tradition et l’étymologie.


V. – DU VERS ET DE L’HEMISTICHE.

Le système poétique des anciens est essentiellement le même que celui des modernes ; cependant il a subi quelques modifications qu’il convient ici de signaler. Il va sans dire que, dans cet essai, j’ai suivi le système ancien et non le système moderne.