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ait pu dire, que nous nous soyons fait aucune illusion sur la facilité de la tentative du général Narvaez. Malheureusement, en Espagne, il y a toujours autant de chances pour l’anarchie que pour l’ordre, et certes il n’était pas difficile de prévoir que toutes ces ambitions de bas étage qui s’agitent à Madrid se ligueraient, que l’intrigue, poussée à bout, se concentrerait dans un dernier effort pour parer l’attaque directe qui lui était portée ; mais ce qu’on pouvait dire et ce qui est encore vrai, malgré le peu de succès qu’a eu, momentanément du moins, la tentative du général Narvaez, c’est que le parti modéré, dont il est un des chefs, est seul en position, par ses doctrines comme par le rôle qu’il a joué dans les difficultés récentes, de pacifier l’Espagne. Ce n’est pas nous seulement qui le pensons, c’est la Péninsule elle-même : l’arrivée du duc de Valence à Madrid avait relevé l’esprit public. Il y a une sorte de thermomètre auquel on mesure souvent le degré de confiance qu’inspire une situation politique, c’est la Bourse. Eh bien ! on a vu, chose assez extraordinaire, les fonds hausser à Madrid, lorsqu’un militaire était chargé de former un cabinet ; ils ont baissé au contraire, ou plutôt la Bourse est restée muette, aucune affaire n’a eu lieu, lorsqu’un banquier l’a emporté. C’est là le degré de confiance qu’inspiraient le général Narvaez et M. Salamanca. S’il fallait une preuve de plus, on n’aurait qu’à jeter les yeux sur le ministère qui s’est formé à défaut de celui que voulait constituer le général Narvaez. De qui se compose-t-il ? D’un spéculateur effréné, trafiquant du pouvoir, qui n’a d’autre but que de réparer les brèches de sa fortune, et de quelques-unes de ses créatures, dont le nom n’a, du reste, que peu d’importance. M. Salamanca, aidé du général Serrano et de M. Bulwer, a eu beau chercher ; il n’a pas trouvé une seule notabilité politique pour s’associer à son œuvre ; son ministère restera bien le ministère de l’agiotage et de l’intrigue, et vraiment il n’y aurait qu’à sourire de cette comédie jouée par un favori ridicule, par un agioteur aux abois, et par un diplomate habile à exploiter toutes les passions, si les plus sérieux intérêts d’un grand pays n’étaient en jeu.

Toute la force, toute la puissance qu’a pu déployer cette intrigue de diverses couleurs qui règne à Madrid a donc abouti à ce grand résultat, de donner à l’Espagne M. Salamanca pour premier ministre, sous l’égide du général Serrano et de M. Bulwer. On pense bien que, dans ces conditions, la question du palais reste entière. Il faut l’avouer cependant, le cabinet Salamanca a trouvé un moyen ingénieux et surtout imprévu de la résoudre : il veut que l’Espagne vive comme si cette question n’existait pas, et il a en conséquence interdit à la presse de s’occuper de la reine, du roi, du mariage et de ses conséquences, c’est-à-dire à peu près de tout ce qui peut aujourd’hui intéresser le pays. Ce n’est pas d’ailleurs la seule mesure par laquelle le nouveau cabinet ait inauguré son entrée au pouvoir. Les circonstances sont évidemment trop propices, l’état de la Catalogne est trop calme et trop rassurant, pour qu’il n’ait pas du s’empresser d’ouvrir la porte à tous les réfugiés ; aussi a-t-il promulgué la plus large amnistie qui jamais ait été donnée, et il sera certainement curieux de voir Cabrera aller s’établir à Valence ou même à Madrid. Pour Espartero, il est très vrai que le général Serrano et ses adhérens étaient quelque peu gênés par leur hostilité contre l’ancien régent ; mais la nécessité l’a emporté. On a cru qu’il fallait opposer un nom militaire à celui du général Narvaez, dont on connaît l’influence sur l’armée, et le duc de la Victoire a été nommé sénateur ; ses honneurs et ses titres lui ont