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que l’Irlande ne devait plus être, comme elle l’avait été trop long-temps, la matière à expériences, le champ de bataille des partis.

Cet esprit d’action commune se dessina dès la première séance du parlement, dans la discussion de l’adresse. Les chefs des trois principaux partis dans la chambre des communes, lord John Russell, sir Robert Peel, lord George Bentinck, déclarèrent qu’ils regarderaient la question irlandaise comme une question neutre, et l’envisageraient sans aucune intention d’antagonisme politique. Cette première séance fut curieuse en ce que les hommes principaux de la chambre y prirent immédiatement l’attitude qu’ils conservèrent ensuite pendant le reste de la session. Lord George Bentinck, au nom du parti tory ou protectioniste, inclinait visiblement du côté des landlords. Lord John Russell, sur lequel, en sa qualité de chef du gouvernement, reposait la plus grande part de responsabilité, justifiait à l’avance la complète impuissance où devait se trouver un pouvoir exécutif quelconque de faire face à des difficultés d’une nature surhumaine et providentielle, et il disait :


« Considérant la manière dont a vécu jusqu’à présent le peuple irlandais, considérant qu’une grande proportion de la population est ordinairement trente semaines par an dans l’impossibilité de se procurer de la nourriture, considérant la position de gens habitués à vivre avec un seul repas de pommes de terre par jour, je ne puis croire que par aucune mesure le gouvernement ou la législature puisse empêcher de cruelles souffrances, et même dans certains cas la mortalité. Les Irlandais n’ont pas les ressources des Anglais ; ceux-ci, dans des temps de malheur, peuvent retrancher quelque chose de leur subsistance habituelle. Les Irlandais n’ont point cette ressource : ils ne peuvent rien retrancher d’une nourriture qui n’est pas même suffisante dans les temps les plus heureux. Je ne vois donc, je l’avoue, aucun moyen de faire entièrement face à la crise actuelle. »


Ainsi, dès le début de la session, le pouvoir exécutif faisait l’aveu public de son impuissance. Lord John Russell eût sans doute été tout prêt à remettre une responsabilité si lourde en des mains plus hardies ou plus habiles, s’il y en avait eu ; mais il n’y en avait pas. Sir Robert Peel gardait sa position d’observation, promettant un concours désintéressé, satisfait peut-être de se voir déchargé d’un pouvoir dont l’exercice était devenu si difficile.

Ce fut au milieu de cette suspension d’armes des partis politiques proprement dits que commença, dans la chambre des communes, la bataille du parti irlandais et du parti radical anglais. Les Irlandais ouvrirent l’attaque. M. Smith O’Brien ramassa une à une toutes les misères de son pays et les jeta à la face de l’Angleterre en lui disant « Voilà votre ouvrage ! » et il déclara qu’il rendait le gouvernement anglais responsable de la mort de chaque Irlandais qui succomberait sous la famine. Cette ébullition irlandaise était d’une haute imprudence