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poème est d’un grand intérêt. L’idée religieuse a traversé dans l’Inde plusieurs phases analogues à celles qu’elle a traversées dans la mythologie grecque et dans la mythologie du Nord[1].

D’abord se présente une époque primitive durant laquelle domine l’adoration des forces de la nature. C’est la religion des Védas. Un culte naïf est rendu, par des tribus de pâtres et d’agriculteurs, à la lumière, à l’eau, à la terre, à l’aurore. Çà et là on voit, dans les Védas, certaines forces physiques et certains phénomènes de la nature qui commencent à se personnifier, qui passent à la forme humaine. Ainsi se prépare l’Olympe, composé de dieux, de déesses et de génies, qui sera l’Olympe de l’épopée indienne. Plus tard, la tendance spéculative, naturelle à l’esprit de ce peuple, introduira dans la mythologie un panthéisme, ou plutôt un idéalisme philosophique[2], et cette théorie de l’illusion, qui réduit toute existence à l’essence absolue, et ne voit dans tout ce qui a forme, couleur, étendue, dans tout ce qui peut être senti ou perçu, qu’un néant, apparence trompeuse de l’être inaccessible. Ces doctrines, développées avec un grand déploiement de fantaisie dans des poèmes moitié légendaires et moitié métaphysiques appelés Pouranas, ces doctrines ne figurent pas encore dans ce qui a été publié jusqu’ici du Ramayana. La mythologie indienne s’y montre dans un état intermédiaire entre l’adoration primitive de la nature et les raffinemens ultérieurs de la philosophie. Les dieux ne sont plus des forces physiques ; ils ne sont pas encore des abstractions métaphysiques ; ils sont des personnes divines à forme humaine. Cet âge de la mythologie indienne correspond à l’âge de la mythologie homérique. C’est le point du développement religieux qui convient à l’épopée. À l’épopée il ne faut ni le culte des fleuves, des montagnes ou des astres, ni l’adoration de l’impalpable, de l’insaisissable, de l’abstrait ; l’un est trop simple, l’autre est trop subtil pour l’imagination. L’homme ne se prend qu’à ce qui lui ressemble ; des dieux humains, personnels, éprouvant nos affections, participant à nos faiblesses, type agrandi et idéalisé de notre espèce, voilà les dieux de l’épopée indienne et de l’épopée grecque, sauf les

  1. Ces rapports n’ont rien qui doive beaucoup étonner depuis qu’il a été si bien établi que les Indiens, les Grecs et les peuples germaniques parlaient pour ainsi dire des dialectes d’une même langue. La mythologie scandinave offre quelques autres traits de ressemblance avec la mythologie hindoue. Sans sortir du Ramayana, on y voit les dieux épouvantés par le géant Ravana, comme dans l’Edda les Ases tremblent devant les mauvaises puissances qui doivent les dévorer. Les mantras sont des espèces de runes. (Comparez avec le Hava-Mal, discours sublime d’Odin, ce qui est dit dans le Ramayana de Schlegel, XIV, 12). Sita subit l’épreuve du feu, comme l’épouse de Sigfrid dans l’Edda.
  2. Le passage dans lequel Casyapa dit à Vichnou : « Ô seigneur ! je vois dans ton corps tout l’univers, » ce qui est panthéiste, ne se trouve pas dans l’édition du Bengale, et M. Schlegel, bien que l’ayant admis dans son texte, le regarde comme une interpolation. Ici encore l’édition du Bengale paraît plus ancienne.