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écrite en hiéroglyphes au-dessous d’une scène rustique, et où se trouve le plus ancien exemple du bis de nos refrains ; mais un chant étendu, suivi, embrassant un vaste enchaînement de narrations, le chant épique en un mot, ne paraît pas avoir existé dans l’antique Égypte. La véritable épopée égyptienne ne se composait pas de chants, mais de peintures et de bas-reliefs ; c’est celle que chacun peut lire aujourd’hui sculptée sur les murs des palais de Thèbes, où sont tracés des combats et des scènes de triomphes. Les inscriptions hiéroglyphiques dont ces représentations sont accompagnées offrent bien, dans les parties qu’on a déchiffrées, des exemples d’un langage animé et poétique ; mais ce langage ne paraît soumis à aucune règle métrique. Ce ne sont point des chants, ce sont des bulletins pompeux, qui racontent officiellement, et en style de chancellerie orientale, les exploits de Sésostris ou de Menéphta. Rien dans tout cela ne ressemble à cette tradition orale qui, transmise par le chant et tombée aux mains d’un homme inspiré qu’on appelle Homère, Firdoussy, Vyasa, Valmiki, a produit en Grèce l’Iliade et l’Odyssée, en Perse le Livre des Rois, dans l’Inde le Mahabarata et le Ramayana.

L’Inde est la patrie du gigantesque ; l’Inde renferme les plus hautes montagnes et les plus grands fleuves du globe ; l’Inde a creusé et sculpté les rochers d’Ellora et de la côte de Coromandel ; l’Inde compte par millions les années et les siècles des périodes fabuleuses de son histoire. Il n’y a pas jusqu’aux mots composés de la langue sanscrite qui ne s’allongent et ne se déroulent dans des proportions colossales. Ces proportions sont aussi celles des épopées de l’Inde. Le Mahabarata a deux cent mille vers, et encore les Indiens, trouvant ce nombre mesquin, prétendent que le Mahabarata des hommes n’est qu’un fragment du vrai Mahabarata composé à l’usage des dieux, et qui, au lieu de se borner à deux cent mille vers, en contient douze millions ; pour le Ramayana, il n’est guère plus long que l’Iliade et l’Odyssée réunies ; on doit lui savoir gré de conserver encore quelque chose d’humain ; jusqu’à ce jour, ni l’un ni l’autre de ces deux grands poèmes n’ont été complètement traduits. On connaît, par des versions latines, allemandes et françaises[1], divers épisodes du Mahabarata, entre autres l’histoire de Nala et de Damayanti, qui forme à elle seule une touchante épopée conjugale, et le Bagavad-gita, qui contient tout un système de métaphysique. Pour le Ramayana, on peut espérer de le posséder assez prochainement. Déjà M. Auguste Schlegel avait entrepris d’en donner le texte sanscrit avec une traduction latine, et son digne successeur, M. Lassen, continue cette publication. Enfin l’Italie est entrée dans la lice, et paraît devoir arri-

  1. M. Théodore Pavie a donné en français plusieurs parties du Mahabarata.