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Thébes, daté des bords du Nil, il en trouvait un sur le Ramayana, daté des Pyrénées, et comment ce n’est plus le voyageur à la poursuite des hiéroglyphes qui va l’entretenir, mais le professeur enroué, à la poursuite d’un peu de voix, dont il aura besoin, cet hiver, au Collège de France, pour parler de Montesquieu et de Rousseau. Ne pouvant emporter aux eaux avec moi tous les matériaux qui me servent à compléter par l’étude les résultats de l’observation, et ne voulant m’écarter que le moins possible du sujet de mes recherches, j’ai résolu de faire cette fois une excursion épisodique dans l’Inde, sauf à revenir bien vite sur les bords du Nil, à peu près comme un voyageur qui, à Suez, prendrait le bateau à vapeur de Bombay, et, quelques semaines après, se retrouverait au pied des Pyramides.

Quand je dis que j’ai cherché dans l’Inde un sujet qui ne m’éloignât pas trop de l’Égypte, je parle plutôt d’après autrui que d’après moi-même, car je suis moins frappé que ne l’ont été plusieurs écrivains des rapports de l’Inde avec l’Égypte, et je ne vois, pour ma part, aucune raison d’admettre que la civilisation ait jamais voyagé des bords du Gange aux rives du Nil.

Du reste, cette opinion remonte assez haut, car on la rencontre déjà dans Philostrate et dans Eusèbe ; plus récemment, elle a conduit à d’étranges conclusions. L’aventureux Gœrres retrouve les Védas dans les prétendus livres d’Hermès ; avant lui, le respectable, mais un peu superficiel W. Jones, avait déclaré que c’était dans les Védas qu’on découvrirait la clé des hiéroglyphes ; depuis, cette clé a été découverte par Champollion, M. E. Burnouf a savamment interprété les Védas dans son cours, et chacun peut s’assurer aujourd’hui que ces curieux monumens de la poésie et de la religion primitives des Hindous n’ont rien à démêler avec les signes graphiques des anciens Égyptiens.

Bohlen, qui a composé son ouvrage sur l’Inde particulièrement en vue de l’Égypte, comme le titre l’indique, ne s’est pas fait faute de rapprochemens de tous genres entre les deux pays ; mais aucun de ses rapprochemens ne me semble démonstratif. Sauf quelques idées générales, qui se trouvent à peu près dans toutes les mythologies, comme l’adoration des puissances de la nature, du soleil en particulier, rien de plus différent que la religion abstraite et sensuelle de l’Inde et la religion matérielle et sévère de l’Égypte. Des cipayes ont cru, dit-on, reconnaître leurs divinités nationales dans un temple de Denderah. Ceci ne prouve rien du tout. Les soldats norvégiens qui, sous le nom de Warangues, allaient servir les empereurs de Constantinople, crurent reconnaître aussi les dieux scandinaves dans les statues païennes de l’hippodrome. Personne n’en a conclu à des influences de la civilisation grecque sur la civilisation de la Norvége. Une vache adorée dans l’Inde ressemble beaucoup à une vache peinte sur le mur d’un