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guerre civile auprès de laquelle, selon le général Hoche, toutes les autres n’ont été que des jeux. Cependant il ne fut que le précurseur de cette guerre, dont Jambe-d’Argent et M. Jacques devaient être les héros. Dépourvu d’instruction élémentaire et d’idées générales, Jean Chouan ne sut ni étendre la révolte ni l’organiser ; la portée politique manquait à son esprit. Au milieu des luttes auxquelles le hasard le mêla, il resta toujours le vrai paysan manceau, renfermant ses idées dans les limites du devoir le plus prochain. Tous les élémens de son rôle historique furent empruntés aux intérêts ou aux affections de la famille. La nécessité l’avait fait faux-saulnier, la reconnaissance le fit royaliste ; mais la première condition lui manqua toujours comme chef de parti : l’ambition.

Aussi sa mort eut-elle peu d’influence sur l’insurrection. Son œuvre était achevée, il disparut, quand d’autres commençaient la leur. Ses compagnons du bois de Misdon connurent seul le lieu où ses restes avaient été enfouis. Ce lieu, nous nous le sommes fait indiquer. Descendant des bleus, nous y sommes arrivé pacifiquement conduit par le fils d’un vieux royaliste. Nous nous sommes assis sur cette tombe oubliée et couverte de liserons, nous avons écouté les chansons chouannes que les pâtres répètent encore, en promenant leurs troupeaux sur les lisières du bois, et nous nous sommes réjoui de vivre à une époque assez guérie des haines de ce temps, pour ne trouver dans ces chansons qu’un monument de notre histoire nationale, et pour ne voir dans cette sauvage sépulture que le souvenir d’un homme justement combattu par nos pères, mais auquel on doit accorder cette épitaphe, la plus noble qu’aucun de nous puisse espérer : Mort pour ce qu’il croyait la vérité.


ÉMILE SOUVESTRE.