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public et les ressources ordinaires de l’état étaient gravement affectés par la disette inattendue dans les denrées alimentaires. À ce moment donc, plus que jamais, il était nécessaire d’être décidé et hardi, d’avoir une volonté et un système arrêté. Tout au contraire, soit qu’ils fussent peu d’accord entre eux, soit qu’ils se fussent laissé aller à de singulières illusions, au lieu de se rapprocher les uns des autres, on vit alors les ministres s’isoler chaque jour davantage, s’amoindrir comme à dessein et presque disparaître du théâtre politique. Quel spectacle étrange et triste fut donné aux amis du gouvernement représentatif ! Au sein des chambres, les ministres des finances, de la marine et de la guerre venaient tour à tour, les uns après les autres, essuyer seuls, sans assistance de leurs collègues, le feu de toutes les oppositions réunies, et quelquefois les bordées plus dangereuses encore des membres de la majorité. Au sein des commissions les plus importantes, les projets de loi ministériels étaient altérés dans leur esprit. Pareille anarchie ne pouvait durer long-temps ; elle amena la retraite de trois ministres. Combien peu s’en est fallu que leur chute n’entraînât celle de tous leurs collègues ! Ainsi ce cabinet du 29 octobre, si puissant par la valeur personnelle de ses membres, né au milieu de la tourmente de 1840, qui avait essuyé de si terribles orages, avait failli disparaître par un temps calme, sans que le moindre souffle de vent, sans que le moindre bruit dans l’air eût annoncé la catastrophe.

Encore une fois, il ne faudrait pas chercher l’explication de ces embarras inattendus dans les fautes partielles de quelques ministres et dans le mouvement que se seraient donné quelques personnes un peu pressées de paraître. Les causes étaient plus générales ; elles tenaient au fond même des choses, à la profonde modification qui s’était faite dans l’opinion publique, modification que les ministres avaient eu le tort de ne pas deviner, à laquelle ils n’ont pas su conformer à temps leur conduite.

L’opinion conservatrice s’était ralliée en 1840 devant la crainte d’une guerre générale ; l’effort de tous les hommes prudens de la chambre avait pour but, à cette époque, d’écarter des conseils de la couronne les ministres qui s’étaient donné le tort plus apparent que réel de courir après les aventures européennes, qui, à propos d’un épisode des affaires d’Orient, dans lequel les intérêts de notre pays n’étaient qu’indirectement engagés, avaient intempestivement donné à notre diplomatie un langage et à notre politique une allure de nature à compromettre la paix du monde. Assurer cette paix au dehors, non pas à tout prix et quoi qu’il en coûtât, comme disaient alors d’aveugles détracteurs, mais en sachant faire à propos des sacrifices raisonnables ; consolider l’ordre au dedans, non pas en se faisant en toute occasion les serviles instrumens d’une aveugle réaction, mais en prêtant au pouvoir