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et un cri d’espérance. Elle doit rappeler sur la scène de la vie active les esprits d’élite qui se sont retirés trop tôt, elle doit aussi adresser aux jeunes générations qui s’avancent une parole de foi et d’encouragement. Les écrivains qui annoncèrent, il y a plus de vingt ans, les principes de la réforme littéraire ne sont pas ceux qui ont donné le triste spectacle de l’agiotage et du métier. Les coupables, sauf de rares et déplorables exceptions, ce sont des hommes de second ordre qui sont venus se joindre à la brillante armée de 1828, et qui, n’ayant accepté les doctrines du nouveau siècle que comme un moyen de fortune, n’ont pas eu de peine à les abandonner pour obéir, selon l’occasion, aux caprices de la foule ou aux calculs des spéculateurs. Voilà ceux qui ont porté le trouble dans les lettres. Quant aux premiers, leur tort est surtout de n’avoir pas résisté avec énergie. Ils devaient se séparer hardiment de tous ces faux alliés, serrer leurs rangs et maintenir l’intégrité de leur drapeau. Ils devaient opposer aux envahissemens du mal soit une critique résolue, soit l’autorité de leurs travaux. Cette discipline, on l’a vu, a manqué trop souvent. La critique a détourné les yeux, les poètes se sont tus ; presque personne n’a fait tout ce qu’il avait à faire, ni tenu ce qu’il avait promis. On n’avait pas triomphé à Cannes, que déjà l’on s’oubliait à Capoue. Rien n’est perdu cependant ; les fautes peuvent être réparées ; les hommes ne sont-ils pas encore dans la maturité du talent ? On doit craindre de trop multiplier les noms propres en ces délicates matières ; on doit craindre surtout, après tant de mécomptes, d’évoquer avec trop de confiance, au milieu des tristesses du présent, les promesses et les souvenirs du passé. Qu’il me soit permis pourtant de demander à l’auteur d’Éloa et de Stello, si les maîtres, pendant de telles crises, ont le droit d’abandonner leur tâche. Il y a quatre ans, dans sa poétique et sombre scène de la Mort du Loup, M. de Vigny écrivait ici même ce beau vers :

Seul, le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.


Le chaste rêveur, le suave et harmonieux artiste voudrait-il aujourd’hui s’excuser lui-même par cette sentence trop dédaigneuse ? Je le crains. C’est surtout l’élégante fierté de ces nobles natures qui souffre le plus dans les vulgaires et bruyantes émeutes de la littérature industrielle. La véritable grandeur serait de demander ses consolations, ses vengeances, à la pratique assidue de la poésie. Si vous ne prenez le fouet du Christ pour chasser les vendeurs, restez au moins dans le temple, et entretenez sur l’autel la lampe qui ne doit pas s’éteindre. Qu’il serait beau de voir tomber ces lueurs saintes sur le front effaré des marchands ! M. Victor Hugo non plus n’a pas donné tout ce qu’on peut attendre de sa puissance et de sa volonté ; s’il est le maître le plus éclatant de la poésie lyrique, la scène ne lui a pas encore fourni ce