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charme encore que leurs yeux, parleront un jour à leur ame, ou bien, s’ils ne peuvent se renouveler eux-mêmes, d’autres viendront sans doute qui sauront profiter de l’exemple de leurs aînés. Affranchis comme eux de la tyrannie des codes abrogés, ils jouiront des mêmes avantages, ils en jouiront avec plus de calme, avec plus de réflexion intelligente, et pourront être, non plus des dilettanti follement amusés, mais de sévères et patiens artistes. Jusque-là, pourquoi ne pas céder au prestige ? Pourquoi ne pas suivre avec complaisance les entreprises juvéniles et même les folles équipées de cette téméraire phalange ?

Je crois que c’est là, en effet, le jugement qui sera porté à distance sur ce premier départ de nos volontaires, sur cette rapide et aventureuse entrée en campagne. La foule était confuse, indisciplinée ; mais quelle vie ! quel mouvement ! Je ne sais si l’on avait un drapeau, ou si ce drapeau représentait quelque chose de bien défini ; mais comme on s’élançait avec joie ! comme on s’imaginait sincèrement poursuivre un but et croire à une cause bien comprise ! Quel entrain ! quelle impatience d’arriver ! Comme les uniformes brillaient au soleil ! Qu’il y avait de grace, d’intrépidité, d’heureuse hardiesse, dans cette armée sans général ! Véritable grace de la jeunesse, avec sa jactance superbe et sa naïve bonne foi, avec son étourderie et sa résolution ! La Muse avait vingt ans.

L’inspiration lyrique s’annonça la première, et, tandis que M. Victor Hugo, dans les Orientales, s’appliquait surtout à enrichir la langue, à l’assouplir victorieusement, tandis qu’il ajoutait plusieurs octaves à ce magnifique clavier, déjà le poète d’Éloa et le rêveur subtil des Consolations agrandissaient le domaine des pensées poétiques. Non loin de là, la muse des Contes d’Espagne et d’Italie introduisait fièrement une fantaisie étincelante dont les vives folies, si elles ne se fussent modérées,

Auraient de pied en cap ébouriffé les sots.


Mais cela n’effrayait guère le jeune écrivain, et nul n’a représenté avec plus d’esprit l’insouciance hardie de ces premiers temps. On voulut bientôt s’emparer de la scène, et, si les triomphes n’y furent pas sérieux comme dans la poésie lyrique, qui pourrait cependant ne pas regretter cette aimable inexpérience d’un art qui produisait Hernani et Marion de Lorme ? Comment oublier les jeunes drames de M. Dumas et le brillant succès d’Henri III ? Ces créations nous sourient encore de loin, car l’inexpérience littéraire, quand elle est unie à des qualités vigoureuses, n’a rien qui nous blesse, et, depuis que nous avons vu tant d’œuvres si différentes, les ruses grossières du métier ont donné je ne sais quel charme inattendu à ces bégaiemens, à ces hésitations d’une poésie naissante. L’inexpérience est une faute heureuse ; l’esprit, en la signalant, n’est pas attristé, car qui l’empêche d’espérer dans l’avenir et d’entrevoir,