Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/969

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont inventées tout exprès pour excuser les coupables ; fantaisie, légèreté, caprice, ces hypocrites subterfuges de nos casuistes nous rassurent pleinement, et nous nous croyons dispensés des solides vertus littéraires qu’inspire la Muse à ceux qu’elle a choisis dans la foule. C’est ainsi que l’on joue avec les dons de Dieu et qu’on se dépouille soi-même. Vienne maintenant le vent d’automne qui balaie les feuilles séchées, viennent les excitations trompeuses et les séductions grossières ; vous verrez tous ces hommes céder presque sans lutte, et cette troupe vaillante dont nous étions si fiers sera décimée en un jour par la convoitise et la débauche.

La révolution de 1830 n’a pas médiocrement contribué aux désordres devenus aujourd’hui si manifestes. Certes, nous n’accusons pas cette crise glorieuse, mais les hommes qui n’ont pas su la traverser dignement. Ce qui était pour les mœurs politiques une victoire féconde a été dans le monde littéraire une source d’entraînemens pernicieux et bientôt la cause d’une déroute presque universelle. L’esprit public, vivement préparé par les luttes de la restauration, aguerri au feu des idées, se fortifiait par le triomphe de juillet. L’école poétique, au contraire, encore mal assurée dans sa foi, était ébranlée violemment, et au bout de quelques années, malgré les efforts des chefs, on vit éclater tous les scandales de la faiblesse. Il faut dans de telles occasions des ames vigoureuses, des intelligences maîtresses d’elles-mêmes, qui puissent, à travers la mêlée, poursuivre résolûment leur but. Les hommes du XVIIe siècle, habitués à la ferme discipline qui double les forces morales, façonnés à cette rectitude hardie qui est la vraie grandeur de la pensée, auraient assisté sans péril à plus d’une commotion pareille. Pour nous, il faut l’avouer sans détour, nous avons été peu à peu jetés hors de nos voies. Comment aurions-nous été fidèles au culte de l’art ? Comment aurions-nous conservé des idées qui n’étaient pas en possession de nos ames ? Le caprice et la fantaisie, les graces légères et périlleuses, avaient détrôné les principes. La conviction, la volonté persévérante, toutes ces vertus austères nous manquaient. Sans doute le remède aurait pu venir encore, et c’était de ce côté que devait porter l’effort des guides. Il fallait sans cesse montrer le drapeau, avertir les générations fatiguées et entretenir ou rallumer les généreuses ardeurs. La critique, le bon sens public, l’état même, chacun avait sur ce point sa part d’action et de responsabilité ; eh bien ! qu’il me soit permis de le dire, ni la critique, ni l’opinion, ni l’état, n’ont rempli leur tâche tout entière. Que chacun fasse un retour sur sa conduite passée ; que la critique songe à sa mobilité, l’opinion à son apathie, l’état à son indifférence : la situation est assez sérieuse, il y a là assez de grands intérêts compromis, assez de trésors engagés, pour que les pouvoirs les plus hauts s’interrogent eux-mêmes et reconnaissent loyalement leurs fautes.