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rangs même de la majorité. Cette confusion a produit une crise ministérielle qui, en ce qui concerne les personnes, est terminée, et un ébranlement moral qui dure encore.

C’est ainsi qu’une mauvaise entrée de jeu dans les questions administratives a causé une perturbation presque aussi forte que si le ministère avait essuyé une défaite dans quelque grande question politique. Quelques esprits se sont même exercés sur les possibilités d’une nouvelle combinaison ministérielle ; on a cité des noms, on a réuni dans une même liste des hommes politiques marchant sous des drapeaux divers. Nous ne parlons de ces imaginations, qui n’ont, aucune espèce de fondement, que pour constater les véritables caractères de la situation. Des hommes éminens et sérieux, tels que ceux dont les noms ont été prononcés, n’acceptent le pouvoir que lorsqu’ils y sont poussés par des nécessités politiques évidentes. Ce qui se passe depuis quelques mois n’a rien changé aux forces respectives des partis parlementaires, à la prédominance de la majorité conservatrice sur les diverses minorités. Sous ce rapport, il n’y a aucune raison politique à un changement de cabinet, de l’aveu même des représentans les plus graves de l’opposition. Il faudrait donc que la majorité tirât de son propre sein le ministère qui recueillerait l’héritage du 29 octobre, et qu’elle se fît représenter aux affaires par quelques ambitions jeunes et ardentes qui ne savent pas cacher leur impatience. C’est déjà sans doute un commencement de vocation politique que de désirer vivement le pouvoir ; toutefois il y a un pas de plus à faire : c’est de le mériter, c’est de le conquérir par des travaux utiles, par des services brillans. Alors la candidature de l’ambition parait naturelle ; elle a pour complices tous ceux qui trouvent dans un talent déjà éprouvé des garanties pour l’avenir. Est-ce trop exiger des jeunes prétendans au pouvoir que de leur demander de se mettre en mesure, par une patiente initiation, d’apporter un jour au gouvernement un concours vraiment efficace et fécond ? On dit de tous côtés qu’il faut des hommes d’affaires, que leur moment est venu : c’est vrai ; malheureusement ils ne sont pas moins rares que nécessaires. Dans les rangs de ceux que les élections de 1846 ont envoyés pour la première fois à la chambre, il y a plutôt de bons instincts, des tendances éclairées, que des talens aguerris et sûrs. Nous voudrions donc qu’au lieu de s’étonner qu’on ne leur ait pas encore offert de portefeuilles et de directions générales, et de laisser dégénérer leur mécontentement en indiscipline hostile contre leur propre parti, les hommes nouveaux consentissent à accepter les conditions dont nul ne s’affranchit avec impunité, les conditions du travail et du temps.

Au milieu des difficultés qui nous assiègent, dans cette pénurie d’aptitudes politiques, on se demande comment des hommes dont on connaît le talent et la capacité se trouvent réduits à l’inaction par la force des choses. Quand, il y a onze ans, le centre gauche se forma, c’était un démembrement de la majorité ; le centre gauche se distinguait du centre droit par des tendances plus progressives, sans abdiquer aucun des principes de gouvernement qu’il avait défendus dans des jours difficiles avec une brillante énergie. — Pourquoi ce parti politique, placé dans cette situation intermédiaire qui est l’expression sincère de ses opinions et la véritable raison de son existence, s’est-il créé à lui-même des obstacles par une étroite alliance avec l’opposition ? La gauche a pu se féliciter d’un rapprochement qui lui assurait le précieux concours de talens éprouvés,