Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/937

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans conscience, de se rapprocher des devis qui leur ont été imposés ; mais la compagnie de Lyon n’entend pas faire de ces économies ruineuses ; elle a compris que la nation lui avait confié une œuvre d’avenir. Il faut lui savoir gré d’accepter cette responsabilité, même au prix d’un surcroît de dépense. On lui avait annoncé que les ouvrages d’art et les bâtimens de service ne coûteraient pas plus de 43 millions : elle reconnaît aujourd’hui, d’après les dépenses déjà faites, que 68 millions lui seront nécessaires. Son seul tort est de n’avoir pas laissé pressentir aux actionnaires la possibilité d’un tel mécompte.

En considérant que les dépenses que nous venons d’énumérer sont celles que l’état prenait à sa charge, dans le système de 1842, on comprendra tout ce que le pays a gagné à l’engouement qui a multiplié les compagnies, et on sentira en même temps que le bénéfice le plus clair de l’agiotage a été pour le trésor public. Les dépenses que la même loi laissait à la charge des spéculateurs, le ballastage, le ferrement de la voie, le matériel et le mobilier d’exploitation, avaient été évalués dans les débats du parlement à 150,000 francs par kilomètre. La compagnie de Lyon demande aujourd’hui 42,000 francs de plus, soit pour toute la ligne un supplément de 22 millions. Si la première estimation est trop faible, la seconde semble avoir été exagérée par prudence[1]. Enfin une réserve de 20 millions, sans compter d’autres sommes à valoir, est destinée dans les nouveaux comptes à payer aux actionnaires l’intérêt des fonds versés pendant la durée des travaux. On trouvera encore cette réserve exorbitante, si l’on considère que l’intérêt des versemens doit être couvert en partie par le placement des fonds non employés et par l’ouverture successive des sections achevées, qui commenceront prochainement à donner des produits. En résumé, il nous semble à première vue que 260 millions au plus suffiraient pour achever la ligne, exception faite des abords et de la traversée de Lyon. Cette dernière partie des travaux, c’est l’inconnue du problème, c’est l’épouvantail des actionnaires. Qui peut prévoir ce que coûtera cette ligne de 11 kilomètres tracée au milieu des maisons de campagne, des propriétés urbaines, des établissemens industriels. Que de difficultés, que de sacrifices à subir pour élever un chemin solide sur les rives souvent inondées de la Saône ; pour suspendre ce chemin dans les faubourgs à 6 mètres au-dessus du sol, de manière à ne pas entraver la circulation ; pour percer en courbe, sous les hauteurs de Saint-Irénée, un souterrain d’environ 2,000 mètres ; pour jeter un pont sur chacun des deux grands fleuves qui se réunissent à Lyon ; pour établir trois gares monumentales dans les riches quartiers où les maisons et les terrains vont acquérir une valeur excessive ! Quels ont été les plus- irréfléchis, de ceux qui ont dicté de telles conditions ou de ceux qui les ont acceptées sans compter ? ’ Des travaux analogues, exécutés à Londres et dans sa banlieue pour les petits chemins de Greenwich et de Croydon, ont coûté de 2 à 3 millions par kilomètre ; On s’attend à ce que la traversée de Lyon revienne au même prix, et beaucoup de personnes pensent que, si les prévisions

  1. On ne peut s’empêcher de remarquer, à l’occasion de cet article, que, si la compagnie avait été libre d’acheter ses fers à l’extérieur, elle eût réalisé une économie de plus de 30 millions. Il est regrettable que les entrepreneurs se soient pressés de conclure leurs marchés avec nos maîtres de forges. Autrement, il eût suffi, pour terminer la crise des chemins de fer, d’opérer sur les rails un dégrèvement exceptionnel, comme celui qu’on propose en faveur de notre marine marchande.