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mais elle s’étudie à réduire la durée de la possession ; les deux lignes qui courent d’Orléans vers le centre et vers Bordeaux sont adjugées l’une pour quarante, l’autre pour vingt-huit ans. En 1845, toutes les têtes sont en incandescence : la spéculation se déplace ; l’établissement des chemins de fer semble n’être plus qu’un accessoire ; l’important, c’est le coup de bourse, c’est la prime à réaliser au plus vite. L’étude réfléchie des projets n’est plus possible. On s’en tient à cette formule : recettes toujours progressives, frais toujours décroissans. Les lignes de l’est et de l’ouest conservent seules les bénéfices du système mixte, avec une jouissance de quarante-quatre ans pour la première et de trente-quatre pour la seconde. Pour la direction du nord au midi, de Lille jusqu’à Avignon, on supprime toute coopération de l’état, on ajoute au contrat des clauses onéreuses, et, malgré tout, une concurrence aveugle réduit les termes de jouissance à trente-huit ans pour la ligne du Nord, à quarante-un ans pour Paris-Lyon, à quarante-cinq ans pour Lyon-Avignon.

Ce qui prouve qu’une grande partie des bénéfices de l’agiotage est revenue au budget, c’est que les entreprises ébranlées aujourd’hui sont précisément celles qui ont été formées en dehors de la loi de 1842. Une seule fait exception, parce que son crédit est soutenu par le prestige du plus grand nom de la finance ; encore annonce-t-elle qu’elle aura bientôt des réclamations à exercer. Dira-t-on que, si les compagnies se sont trompées dans leurs calculs, elles en doivent porter la peine ? que tout négociant est responsable de ses erreurs ? Demandons-nous de bonne foi s’il était possible de calculer pendant cette fièvre dont les émotions sont à peine calmées. Le député qui demandait, dans un intérêt de localité, une inflexion au tracé, ou un embranchement ruineux, s’appuyait-il sur des études bien approfondies ? Supposez une compagnie reformant les devis officiels et augmentant son capital de 50 pour 100 aurait-elle réuni des souscripteurs ? aurait-elle pu entrer en lutte avec ses rivales au jour de l’adjudication ? Les erreurs commises résultent de la fascination générale ; la responsabilité n’en doit peser sur personne. Aujourd’hui même, l’on n’est pas encore de sang-froid ; autrement rien ne paraîtrait plus simple que de réviser les contrats dans un sentiment d’équité, d’admettre les réclamations auxquelles on pourrait faire droit sans préjudice pour les intérêts généraux. Mais, nous l’avons dit, les capitalistes sont en état de prévention : toute mesure tendant à relever les tours exciterait de la défiance, et serait incriminée comme un acte de complicité dans quelque manœuvre de bourse. Il y a dans le pays, et même dans les chambres, des hommes éclairés et honnêtes, qui, condamnés à des fonctions plus honorables que lucratives, ne pardonnent pas aux spéculateurs ce qu’ils appellent le scandale des fortunes rapides. Dans leur ignorance du mouvement réel des affaires, ils se figurent que les pertes d’aujourd’hui sont subies par ces mêmes banquiers qui se gorgeaient hier de bénéfices, et ils ne voient là qu’une juste restitution. Rien n’est plus faux, rien n’est plus dangereux que cette idée. Si nous insistons pour qu’on avise aux moyens de conjurer la crise des chemins de fer, c’est que ceux qui en souffrent sont, non pas les banquiers, mais les spéculateurs du petit négoce, les travailleurs modestes qui ont placé leurs économies sur les chemins de fer. Dans la compagnie de Paris à Lyon, par exemple, sur un peu plus de 17,000 actionnaires, on en compte 15,284 qui possèdent moins de sept actions en moyenne. Voilà les gens pour qui nous demandons grace ; voilà les vraies victimes en faveur desquelles