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un manteau jaunâtre qui n’était guère en meilleur état que celui de Perico, le gardien de nuit, accroupi sur le trottoir, semblait suivre d’un regard mélancolique les grands nuages qui traversaient le ciel. À notre approche, il resta immobile dans son indolente attitude.

— Holà ! l’ami, lui demanda le Zaragate, n’avez-vous pas connaissance dans le quartier de quelque velorio ?

— Oui, parbleu ! d’ici à quelques madras (pâtés de maisons) et près du pont de l’Ejizamo, vous en trouverez un, à telle enseigne que si je ne craignais quelque ronde du seigneur régidor, ou si je trouvais quelque brave garçon qui voulût prendre mon manteau et garder ma lanterne, j’irais moi-même à la fête.

— Bien obligé, dit courtoisement Perico ; nous allons profiter du renseignement.

Le sereno jeta un regard d’étonnement sur mon costume, qui jurait singulièrement avec celui de Perico.

— Les pareils de ce seigneur cavalier ont peu l’habitude de fréquenter ces réunions, dit l’homme de police.

— C’est un cas de force majeure ; ce seigneur a contracté une dette qui l’oblige à ne pas retourner ce soir chez lui.

— C’est différent, dit le sereno ; il y a des dettes qu’on n’aime à payer que le plus tard possible. -Et, prêtant l’oreille aux sons d’une horloge lointaine, le gardien de nuit, sans plus s’occuper de nous, cria d’une voix lugubre :

— Il est neuf heures, et le temps est orageux.

Puis il reprit sa première attitude, tandis que des voix lointaines de serenos lui répondaient successivement dans le silence de la nuit.

Je me remis mélancoliquement à marcher derrière Perico, suivi de mon cheval que je menais en laisse, car les règlemens de police interdisent, après l’oraison, de parcourir les rues de Mexico à cheval, et je n’étais nullement disposé à avoir de nouveau maille à partir avec les alcades. L’avouerai-je ? ce qui me décidait en ce moment à ne pas me séparer de mon guide, c’était ma curiosité, que ses paroles venaient de mettre en éveil. Je voulais savoir ce que pouvait être un velorio, et cet amour de l’imprévu, qui trouve tant d’occasions de se satisfaire au Mexique, venait une fois encore m’arracher à mes ennuis.

Nous n’avions pas marché dix minutes que, selon le renseignement du sereno, nous avions atteint un pont jeté sur un étroit canal. Des maisons crevassées baignaient leur pied verdâtre dans une eau grasse et bourbeuse. Une lampe, qui se consumait tristement devant un retablo des ames du purgatoire, jetait des reflets livides sur cette eau stagnante. Sur les azoteas (terrasses), des chiens de garde hurlaient après la lune, tantôt cachée ; tantôt encadrée seulement par un mobile rideau de nuages, car nous étions dans la saison des pluies. Sauf ces lugubres rumeurs,