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travers de chercher avant toute chose, quand on est en pleine disette, à se prémunir contre le bon marché, et, lorsque les populations sont affamées, de se donner pour principal souci qu’elles n’aient dans quelques mois et pour quelques mois la subsistance à trop bas prix. Il n’était pas à supposer qu’après l’éclat et la puissance qu’ont reçus des mains de la France les principes populaires, ce fût parmi les nations notre patrie qui donnât cet exemple au monde ! Pénible contradiction qu’on voudrait couvrir d’un voile, pour l’honneur de notre temps ! Au sein de l’asile d’où ils nous contemplent et nous encouragent à poursuivre l’ouvre qu’ils avaient si noblement commencée, les hommes immortels de 89 doivent en éprouver une humiliation profonde. Ils ne sont pas les seuls à qui ce qui se passe parmi nous en ce moment remonte comme une vapeur offensante ; car il faut rendre cette justice aux siècles passés, dès qu’il s’agissait des subsistances, l’ancien régime, tout imbu qu’il était de l’esprit de monopole, était peuple autant que les grands hommes de 1789, et on ne le surprit jamais à rechercher les moyens d’enchérir la vie. C’est un système nouveau d’économie nationale, une nouvelle notion de gouvernement patriotique, qui fait école de notre temps et qui a de chauds partisans même dans la fine fleur des amis du peuple. Au milieu de notre génération légataire du siècle des lumières, ces sophismes grossiers se sont fait jour et ont acquis l’empire. Plus d’une ame honnête et désintéressée les a salués comme des maximes d’état, comme une émanation de la sagesse éternelle. C’est ainsi que nous offrons aujourd’hui ce spectacle inoui, qu’au fort d’une disette à peu près sans exemple, le soin le plus empressé des pouvoirs publics soit de préserver la France de la calamité qui consisterait à avoir le pain et la viande à bas prix, dans l’intervalle qui séparera la moisson de 1847 de celle de 1848, après que toutes les économies des pauvres gens auront été dévorées, alors qu’une grande partie des populations se sera endettée pour traverser la crise, et que, le capital national ayant été amoindri par la disette, les moyens de travail seront devenus plus rares. Il est cependant démontré, nous le croyons, par l’exposé qui précède, que ce bon marché de la vie, qui serait un malheur dans la nouvelle langue française qu’on nous a faite, ne nous menace aucunement. Nous n’avons en perspective que la cherté, qui, à la vérité, dans ce nouveau vocabulaire, est peut-être un grand bien. C’est en prévision de la cherté que le gouvernement doit combiner tous ses actes.


IX.

Au sujet des travaux publics, les pouvoirs de l’état ont eu une double occasion de manifester leur prévoyance et leur appréciation éclairée de la situation.