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sur le dénoûment de mon aventure, et fort triste surtout du malheureux événement qui en avait été l’origine.

— Comment se fait-il que je vous trouve si bien portant ? dis-je à mon guide quand j’eus recouvré un peu de sang-froid. J’avoue que je croyais vos affaires dans ce monde à jamais terminées.

— Dieu a fait un miracle en faveur de son serviteur, reprit Perico, et il leva dévotement les yeux au ciel ; mais on dirait, seigneur cavalier, que ma résurrection vous contrarie. Vous concevez du reste que, malgré tout mon désir de vous être agréable…

— Nullement, Perico, nullement, je suis enchanté de vous revoir en vie ; mais comment s’est opéré ce miracle ?

— Je n’en sais rien, reprit gravement le lépero ; seulement il s’est accompli assez rapidement pour que j’aie pu reprendre ma place parmi les spectateurs de la course, et même tenter une dernière ascension. Je venais d’être confessé et absous à neuf, c’était une occasion unique de risquer ma vie sans exposer mon ame ; j’ai voulu en profiter, et cela m’a porté bonheur, car, cette fois, en dépit du taureau qui m’a soulevé sur ses cornes, je suis retombé sur mes jambes, au grand contentement du public, qui a fait pleuvoir sur moi les réaux et les demi-réaux. Alors, me trouvant, grace à vous surtout, la bourse assez bien garnie, j’ai pensé à satisfaire mes goûts pour la toilette, et je suis allé au baratillo faire emplette de ce costume, qui me donne un air fort respectable. Vous avez vu avec quelle considération l’alcade m’a traité. Il n’y a rien de tel que d’être bien vêtu, seigneur cavalier !

Je vis clairement que le drôle m’avait joué une fois de plus, et que sa feinte agonie, comme sa confession, n’avait été pour lui qu’un excellent moyen de me tirer quelques piastres. J’avoue néanmoins que ma colère fut désarmée en ce moment par la dignité comique avec laquelle le lépero se pavanait dans son manteau troué, tout en me tenant ces étranges discours. Je ne songeai qu’à ne débarrasser d’une compagnie qui me devenait importune, et je me contentai de dire en souriant à Perico :

— Si je compte bien, les maladies de vos enfans, l’accouchement de votre femme, votre linceul, m’ont coûté à peu près une centaine de piastres ; vous faire remise du tout, ce sera, j’aime à le croire, payer assez généreusement le service que vous venez de me rendre. De ce pas donc je regagne mon domicile, et je vous renouvelle mes remerciemens.

— Votre domicile, seigneur cavalier ! y pensez-vous ! s’écria Perico, mais, à l’heure qu’il est, votre maison doit être cernée par la force armée : on vous cherche chez tous vos amis ; vous ne savez pas à quel alcade vous avez affaire ?

— Vous le connaissez donc ?

— Je connais tous les alcades, seigneur cavalier, et ce qui prouve