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poussée par les circonstances à arborer le drapeau de la liberté du commerce des grains. De ce moment, la question change entièrement de face pour les autres peuples ; le chemin qui pouvait paraître bien scabreux devient tout uni. Sir Robert Peel, en déterminant le parlement à voter la libre introduction des céréales dans le royaume-uni, a par cela même dissipé les dangers plus imaginaires que réels, mais fort redoutés par quelques personnes, aux yeux desquelles cette liberté semblait exposer les intérêts de l’industrie agricole dans les autres états.

J’admire le courage avec lequel sir Robert Peel a soutenu une pensée qu’il considérait justement comme favorable à l’avancement de sa patrie, de la civilisation tout entière. Son inébranlable fermeté devant les exigences de son propre parti est une leçon qui devrait n’être pas perdue pour les hommes politiques de tous les pays. En faisant rentrer dans la pratique des gouvernemens le principe de la vie à bon marché, il a bien mérité de l’humanité. En ébranlant les barrières élevées primitivement entre les nations par de furieuses passions de guerre[1], maintenues ensuite par les intérêts qui vivent de l’hostilité des peuples, par l’égoïsme aveugle de quelques-uns ou par les préjugés d’un plus grand nombre, il a servi la cause de la paix, qui est celle de la liberté des hommes. Ainsi on ne peut croire que je songe à diminuer la gloire de sir Robert Peel, si je fais remarquer qu’en ce qui concerne les subsistances il n’a fait qu’exécuter ce qui était devenu absolument inévitable pour la Grande-Bretagne. Il a eu le mérite de distinguer de son coup d’œil d’homme d’état ce que les circonstances indiquaient nettement sans que les autres chefs de parti voulussent l’apercevoir. L’Angleterre en était venue au point d’être alarmée sur sa subsistance. Sa population, que développait sans cesse le progrès manufacturier du pays, cessait d’avoir sa nourriture assurée, si on s’obstinait à la faire vivre sur la production des îles britanniques. Il fallait le reconnaître, le proclamer et en tirer hardiment la conséquence toute naturelle, que l’Angleterre n’avait plus le choix, et qu’à moins de l’exposer à des famines périodiques, il fallait laisser librement entrer les subsistances. L’Angleterre est, on le sait, de tous les pays d’Europe celui dont la population s’accroît le plus. De 1831 à 1841, la Grande-Bretagne, sans compter l’Irlande, a vu sa population augmenter de

  1. On ne sait pas assez en France que les rigueurs du système prohibitif ont été instituées chez nous comme des mesures de guerre contre l’Angleterre, et non comme une protection pour le travail national. Le régime prohibitif a été fondé par deux décrets de la convention, dont l’un, celui du 18 vendémiaire an II, est intitulé décret qui proscrit du sol de la république toutes marchandises fabriquées ou manufacturées dans les pays soumis au gouvernement britannique. Ce dernier décret, qui n’a pas été encore expressément abrogé, prononce la peine de vingt ans de fers contre une multitude de délits dont l’un serait de porter un gilet de piqué anglais.