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le cavalier agenouillé qui, à la première vue, m’avait inspiré un si profond intérêt ; mais le cavalier avait disparu. Allais-je donc être forcé de me soumettre à l’odieuse formalité exigée par l’alcade ? C’est à ce moment que le hasard m’envoya le second auxiliaire dont j’ai parlé. Le nouveau personnage qui vint s’interposer entre l’alcade et moi était très majestueusement drapé d’un manteau de drap de Queretaro, couleur olive, dont un pan relevé cachait presque entièrement sa figure. A travers les nombreuses déchirures du manteau, on pouvait apercevoir une veste d’un drap non moins équivoque. Arrivé devant l’alcade, après avoir, non sans peine, fendu la foule, ce personnage passa le bras à travers un des trous de son manteau, et put ainsi, sans déranger les plis de sa cape, porter la main au débris de chapeau qui couvrait sa tête. Il se découvrit courtoisement, tandis que dans sa chevelure noire et hérissée restaient accrochés quelques cigarettes, un billet de loterie et une image de la miraculeuse vierge de Guadalupe. Je ne fus pas médiocrement surpris en reconnaissant dans ce respectable bourgeois mexicain mon ami Perico, que je croyais mort et à la veille d’être enterré.

— Seigneur alcade, dit Perico, ce cavalier a raison. C’est involontairement qu’il a commis ce meurtre, il ne doit donc pas être confondu avec les malfaiteurs ordinaires, et d’ailleurs je suis ici pour le cautionner, car j’ai l’honneur de le connaître intimement.

— Et qui te cautionne, toi ? demanda l’alcade.

— Mes antécédens, reprit modestement le Zaragate… et ce cavalier, ajouta-t-il en me désignant.

— Mais puisque c’est toi qui le cautionnes ?

— Eh bien ! je cautionne ce cavalier, ce cavalier me cautionne, ce sont donc deux cautions pour une, et votre seigneurie ne peut pas mieux rencontrer.

J’avoue que, placé entre la justice de l’alcade et la fatale protection de Perico, j’hésitai un instant. De son côté, l’alcade ne semblait guère convaincu par le syllogisme que Perico venait de lui lancer avec une si triomphante assurance. Je crus devoir alors terminer le débat en me penchant à l’oreille de l’alcade et en lui donnant mon adresse à voix basse.

— Eh bien ! reprit-il en se retirant, j’accepte la caution de votre ami à la cape olive, et je me rends de ce pas à votre domicile, où je compte vous trouver.

L’alcade et les soldats s’étaient éloignés ; la foule restait aussi compacte et toujours menaçante, mais un sifflement aigu et deux ou trois gambades eurent bientôt fait reconnaître Perico des gens de sa caste, qui se rangèrent avec empressement devant lui. Le lépero prit alors mon cheval par la bride, et je m’éloignai ainsi de ces groupes sinistres, fort inquiet