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magasinage, l’intérêt du capital et toutes les mauvaises chances que supporte le blé étranger ; et, s’ils ne voulaient pas faire des efforts pour améliorer leur culture, ne serions-nous pas fondés à chercher les moyens de les y contraindre, en leur faisant sentir l’aiguillon de la concurrence ? On vient de le voir pour la Baltique et la mer Noire, on va le voir pour les États-Unis : c’est un aiguillon qui ne peut causer de mortelle blessure, qui même est fort émoussé.

On a cité, pour les grains de la Baltique et de la mer Noire, des prix de vente dans nos ports qui sont inférieurs à ceux que j’ai indiqués tout à l’heure. C’est qu’il y a des momens où l’industrie livre ses marchandises sans profit ou même à perte. On aime mieux vendre ses produits à vil prix que de ne pas les vendre du tout. Alors que le blé étranger était repoussé du marché anglais et qu’il était frappé en France et sur les autres grands marchés d’une interdiction presque aussi rigoureuse, des circonstances ont dû se présenter où, pour faire argent d’excédans peu considérables, on souscrivait à toute condition. Ces prix excessifs en baisse ne prouvent rien pour un avenir où l’accès de quelques-uns des grands marchés serait libre. Des excédans bien plus considérables que ceux qui ont été ainsi quelquefois abandonnés à vil prix seraient alors comme perdus dans l’approvisionnement général. Versez dans l’île Pomègue ou dans la tour de Cordouan 500,000 hectolitres de blé, et édifiez ensuite tout autour une muraille de la Chine, le blé y tombera peut-être à 50 centimes l’hectolitre, à cause de l’impossibilité de l’en faire sortir. Une muraille de la Chine qui exclut les blés de la mer Noire des marchés de l’Angleterre, de la France, de l’Espagne, de l’Autriche, peut produire un effet du même genre. Renversez la barrière dont vous aviez entouré l’île Pomègue ou le château de Cordouan, et le blé aussitôt y reprendra le prix du département des Bouches-du-Rhône ou de la Gironde. Même chose se passerait par rapport aux excédans de la mer Noire, si on les laissait entrer librement. Les prix s’équilibreraient tout comme ferait le niveau de deux réservoirs, jusque-là séparés par une digue, qui viendraient à communiquer. Si l’un des deux est petit et l’autre grand, le premier comme le bassin des Tuileries, le second comme le lit de la Seine, c’est le niveau du plus vaste qui deviendrait le niveau commun.

Il n’en serait point ainsi assurément, si les pays producteurs de blé pouvaient indéfiniment accroître leur excédant disponible ; mais pour le blé en particulier, je dis le blé-froment, la céréale qu’on recherche le plus, celle qui donne lieu au plus grand mouvement commercial,.à juger de l’avenir par le passé, on serait en droit d’affirmer que cette puissance d’accroissement indéfini n’existe pas. Un pays à son début peut être exclusivement agricole et avoir un excédant de subsistances assez fort. Pendant un certain laps de temps, si ce pays jouit de la paix,