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pèsent sur les subsistances, particulièrement des droits de douane sur les céréales, la viande sur pied ou la viande salée d’autre part, tel est l’arsenal dont dispose l’autorité pour combattre positivement et directement la disette. Cette double action est indispensable ; c’est comme le double mouvement de la pompe. On l’a justement remarqué, la cherté des subsistances est nécessairement accompagnée d’un manque de travail, et c’est ce qui condamne un système qu’on vient de ressusciter ou d’inventer, suivant lequel les amis sincères et éclairés des classes populaires devraient ne pas attacher beaucoup de prix à la vie à bon marché. Quand la vie devient chère, les salaires sont absorbés presque en entier par la nourriture. Ce besoin une fois satisfait plus ou moins grossièrement, l’ouvrier n’a presque rien, et par conséquent il suspend ses autres consommations de tout genre ; il porte ses habits râpés ou en haillons ; il ne renouvelle pas son petit mobilier ni son linge. La consommation diminuant, il faut bien que la production se resserre ; il y a donc moins de travail dans les fabriques de tout genre. On file moins, on tisse et on broche moins ; on forge, on coule, on étire moins ; on fait moins toute sorte de choses. Or, le travail est le patrimoine du pauvre ; c’est son revenu, son capital, son grenier, son trésor. Voilà comment, lorsqu’une disette se déclare, il devient indispensable à un gouvernement paternel, à un gouvernement prudent, d’ouvrir des travaux extraordinaires où se réfugient les bras inoccupés.

On peut, par une approximation fort imparfaite, se faire quelque idée de l’influence que la disette exerce sur l’industrie manufacturière et sur le travail des populations. La consommation de la France est évaluée à 100 millions d’hectolitres de froment ou à l’équivalent en grains de toute sorte. Il y a une portion de ces grains dont le prix, haut ou bas, n’a pas d’effet sensible sur le commerce et sur l’industrie en général ; c’est celle qui est consommée par le producteur lui-même. Tout se passe entre la terre qui donne la moisson et la famille du cultivateur, le reste du monde n’a rien à y voir ; mais la proportion qui est mise dans le commerce, et qui est consommée par des gens qui ont dû l’acheter, met l’acheteur dans l’aisance relative ou dans la gêne, selon qu’elle est à bon marché ou qu’elle est chère. Le salaire étant représenté par deux, l’ouvrier consacrera, en temps ordinaire, un à sa nourriture ; il lui reste un pour se vêtir, se loger, se chauffer. Si les subsistances enchérissent, il faut qu’il débourse pour ses alimens un et demi ou un et trois quarts : il amoindrit donc ou supprime, comme nous venons de le dire, tous les achats qu’il aurait faits en temps ordinaire. Les fabriques sont réduites d’autant dans leur activité. Jusqu’où peut aller ce resserrement du travail ? Les relevés du recrutement attribuent à l’agriculture la moitié de la population totale, de la population mâle du moins ; mais, dans la population