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s’agiter, où une inquiétude ardente s’empare d’elles et les pousse au désordre ; la faim a été justement appelée par le poète une mauvaise conseillère. Et cette fois la modicité de la récolte dernière en céréales se complique d’un autre déficit. La pomme de terre, qui a pris une grande place dans l’alimentation publique, a été atteinte d’une désespérante maladie dont on n’entrevoit pas la fin. Ce n’est pas seulement chez nous, c’est dans le reste de l’Europe ; ce n’est pas seulement en Europe, c’est dans l’autre continent même qui nous l’avait donnée. Voilà une denrée dont la production, de 1815 à 1845, avait été portée de 17 millions d’hectolitres à 100, qui menace de nous faire défaut. L’alimentation populaire est même atteinte par là de plusieurs côtés. L’ouvrier sera forcé de remplacer la pomme de terre par d’autres farineux plus chers ; il va de plus, du même coup, être privé de l’infiniment petit de viande qu’il consommait. On sait que plusieurs millions de Français n’en mangent pas d’autre qu’un atome de salé, qu’ils mettent dans leur soupe. Le vœu de la poule au pot du bon roi Henri, à travers toutes nos révolutions, dont le mobile cependant a été un sentiment populaire, n’a été accompli encore que sous cette figure-là. Ce porc salé sur lequel vivait une famille, c’est avec des pommes de terre qu’on l’avait nourri. Comment faire, si l’on ne peut plus compter sur la pomme de terre à bas prix ?

Nous avons ainsi devant nous de l’inconnu, qui, hier, était fort sombre, qui l’est aujourd’hui encore, malgré la saison propice que nous tenons enfin. La Providence dissipera sans doute ces nuages qui pèsent sur nous et nous voilent le ciel serein sur lequel nous avions pris l’habitude d’arrêter nos regards. Elle nous a été visiblement bienveillante depuis quinze ans ; elle a apaisé bien des orages qui grondaient sur nos têtes. Il est vrai que les hommes l’y ont aidée ; mais nous pouvons compter sur elle à la même condition.

Nous ne sommes pas, disons-le, en présence d’une cherté passagère. Cet hiver, le blé est monté à un taux qui était sans exemple depuis trente années, et, ainsi qu’on le verra tout à l’heure, la prudence commande de se prépayer tout comme si les subsistances devaient rester au-dessus du prix moyen pendant quelques années. Or, pour y remédier, quels moyens ? Dans la sphère administrative, il en est deux qui ne s’excluent pas, et qui, au contraire, se complètent l’un l’autre. Le premier consiste à prendre toutes les mesures qui par elles-mêmes sont propres à abaisser le prix des denrées alimentaires, le second à développer les travaux extraordinaires. Mettons en usage tout ce qui tendra à empêcher la vie d’être trop coûteuse, et en même temps maintenons le travail, qui est le gagne-pain des masses populaires.

Les travaux extraordinaires d’une part et la suppression des taxes qui