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II. – L’ALAMEDA. – LE PASEO DE BUCARELI.

Il est peu de villes au Mexique qui ne possèdent leur alameda[1], et, comme il convient à la capitale d’une république ou d’un royaume, celle de Mexico est sans contredit la plus belle. Une promenade de ce genre manque à Paris. Hyde-Park à Londres est celle qui s’en rapproche le plus. L’Alameda de Mexico forme un carré long, entouré d’une muraille à hauteur d’appui, qui longe un fossé profond, dont les eaux bourbeuses, aux exhalaisons fétides, déparent ce lieu de plaisance, irréprochable du reste. Une grille, à chacun des angles, donne passage aux voitures, aux cavaliers et aux piétons. Des peupliers, des frênes et des saules forment un berceau de verdure au-dessus de la chaussée principale, destinée aux chevaux et aux voitures, qui roulent et galopent silencieusement sur un terrain uni. Des allées qui convergent à de grands centres communs, ornés de fontaines aux eaux jaillissantes, interposent leurs massifs de myrtes, de rosiers et de jasmins entre les voitures et les promeneurs à pied, dont l’œil peut suivre, à travers ces ombrages embaumés, des équipages luxueux, des chevaux pleins d’ardeur dans leurs évolutions répétées autour de l’Alameda. Le bruit des roues, étouffé par le sable des allées, arrive à peine à l’oreille, mêlé au murmure des jets d’eau, à la brise parfumée qui frémit dans une verdure éternelle et toujours jeune, aux bourdonnemens des abeilles et des colibris. Les carrosses dorés se croisent, dans une circulation incessante, avec les voitures européennes, et les splendides harnachemens des chevaux mexicains ressortent dans tout leur éclat à côté de la selle anglaise, qui paraît bien mesquine au milieu de ce luxe vraiment oriental. Les femmes du monde ont quitté à l’heure de la promenade la laya et la mantille pour revêtir des costumes en arrière de six mois sur les dernières modes parisiennes. Nonchalamment étendues sur les coussins des voitures, elles laissent reposer dans une chaussure souvent, hélas ! trop négligée ce pied qui fait leur orgueil et l’admiration des Européens. Heureusement les glaces baissées ne laissent entrevoir que leur diadème de noirs cheveux rehaussés de fleurs naturelles, leur séduisant sourire, leurs gestes, où la vivacité s’unit si gracieusement à la nonchalance. L’éventail s’agite, et parle aux portières son mystérieux langage. La foule des promeneurs à pied ne présente pas un spectacle moins piquant ; seulement l’Europe mêle en moins grand nombre ses tristes costumes aux costumes bariolés de l’Amérique.

Après un certain nombre de tours, les voitures abandonnent l’Alameda, les cavaliers suivent les voitures ; toute cette foule passe indifférente devant une fenêtre grillée, qui donne sur le trottoir qu’il faut

  1. Alameda, littéralement, lieu planté de peupliers, alamos ; nom générique des promenades publiques.