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pourvu a leurs besoins ? qui les avait payés ? qui les avait enrichis ? La colonie même qui jetait en ce moment à la Péninsule le superflu de ses rentes. Le trésor de la Havane devint, dès 1830, le fonds de secours, la caisse de réserve de la monarchie espagnole ; c’est là que puisait la reine Christine, lorsque, l’insurrection dévorant les ressources financières de la Péninsule, elle se trouvait sans liste civile. Des tributs payés à diverses époques par la colonie s’était formé le capital légué par Ferdinand VII à ses filles et à sa veuve. L’île avait fait tous les frais de la malheureuse expédition de Barradas destinée à reconquérir le Mexique, et de plus, de 1832 à 1841, elle avait échangé 36 millions de piastres de francs[1] ! À cette même époque sa population blanche comptait plus de cinq cent mille ames. Cuba entretenait avec toutes les nations du monde un commerce actif et florissant ; les États-Unis introduisaient annuellement dans ses ports pour plus de 11 millions de piastres de marchandises, l’Angleterre pour 5 millions ; la France, l’Allemagne, la Russie et le Brésil, pour 4 millions et demi. La somme totale de ses exportations s’élevait à plus de 150 millions de francs : c’était plus de quatre fois ce que Cuba exportait en 1818. L’Espagne recevait sur le total de cette exportation pour environ 25 millions de produits qui, taxés en douane suivant un tarif modéré, ne laissaient pas de rapporter au trésor les sommes considérables, outre le tribut directement prélevé sur la colonie. De plus, le pavillon national, qui n’importait à Cuba, en 1828, que pour 700,000 piastres fortes de marchandises, et qui n’en exportait que pour 600,000, figurait, en 1841, dans l’importation pour 14 millions de piastres, et dans l’exportation pour 7. L’Espagne prenait ainsi sa large part de la prospérité qu’elle avait créée ; elle recueillait directement et indirectement des fruits abondans de la loi libérale rendue par Ferdinand VII en 1818. La possession de l’île de Cuba représentait pour ses finances un revenu net de 75 millions de francs ; elle suffisait à l’entretien de la presque totalité de sa marine militaire, d’un bon tiers de sa marine marchande ; elle alimentait un cinquième de son commerce, elle servait de garantie à tous les marchés de son gouvernement soit avec les sujets espagnols, soit avec les banquiers étrangers[2].

A peu près vers le même temps, quels avantages rapportait à la France et à l’Angleterre la conservation de leur système colonial ? L’une sacrifiait à ce système son importante industrie saccarine indigène ;

  1. L’année dernière, le trésor de Cuba a payé encore les frais de la propagande monarchique que l’Espagne faisait au Mexique, dans l’espoir de relever le trône d’Iturbide en faveur d’un des princes de sa maison.
  2. Les banquiers qui traitent avec le gouvernement espagnol ont toujours soin de faire stipuler dans leurs contrats qu’ils seront remboursés par des traites sur le trésor de l’île Cuba.