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Le plus sûr moyen de combattre cette indifférence est de lui opposer les faits mêmes qu’elle néglige. En présence des difficultés que nous créent la situation de nos anciennes colonies et la fondation d’un nouvel établissement en Afrique, il importe d’interroger plus assidûment que jamais l’histoire coloniale des états européens. Plus d’une fois, ici même, on a étudié les procédés qui ont fait grandir et prospérer les lointains établissemens de la Grande-Bretagne[1]. Cette fois, l’Espagne et l’île de Cuba nous offriront un spectacle non moins digne d’attention que celui des colonies anglaises. On verra comment trente années de commerce libre ont fait d’une île presque déserte et improductive le plus ferme appui de la richesse et de la puissance péninsulaires. On verra comment la colonie a sauvé de la banqueroute les finances de sa métropole, épuisée par les révolutions, comment elle a garanti sa marine militaire d’une ruine imminente, en se chargeant à peu près seule d’en entretenir les restes[2]. La marine marchande et le commerce espagnols ne sont pas moins redevables que l’état à la reine des Antilles. Alors que les colonies du continent américain, secouant le joug des rois de Castille, ouvraient leurs ports aux marines étrangères et portaient un coup mortel à l’activité des spéculateurs de la Péninsule, l’île de Cuba leur offrait chez elle une opulente compensation ; elle seule conjurait l’orage, elle seule rendait presque insensible pour les négocians espagnols la perte des Indes occidentales. Que de richesses, que de prospérité, que de bienfaits en échange d’une simple loi de douane ! Hâtons-nous d’ajouter que, par une modestie intéressée peut-être, l’Espagne refuse de croire à son œuvre. Il n’est pas d’efforts que le cabinet de Madrid n’ait tentés pour reprendre ce qu’il avait donné : on a tour à tour gêné, contesté, restreint le fécond principe de 1818 ; mais quelques années de liberté avaient fait un peuple de ces colons isolés, timides, ignorans sous le régime du monopole ; ils avaient trop grandi pour être arrêtés par les obstacles qu’on essayait d’opposer à leurs progrès ; la jouissance d’un seul de leurs droits leur avait révélé tous les autres. Il est curieux de voir par quelle initiation rapide ils sont passés de la liberté du commerce à la liberté de l’homme, comment ils poursuivent aujourd’hui de leur propre mouvement, avec leurs seules ressources et contre la volonté de la métropole, cette grande œuvre de l’abolition de l’esclavage, qui tient encore aujourd’hui la France indécise, malgré ses millions et sa puissance, devant le mauvais vouloir de quelques colons.

  1. Voyez, dans la série intitulée Politique coloniale de l’Angleterre, 15 septembre 1842, 15 mai 1846, 15 février 1847, les articles sur le Canada, sur Bornéo, sur l’Australie.
  2. L’Espagne a toujours eu soin, depuis 1818, de laisser dans les ports de Cuba et de Puerto-Rico la plus grande partie de ses vaisseaux de guerre, afin de se soulager des dépenses que lui aurait coûtées l’entretien de ces bâtimens.