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silencieuse, et celui que j’attendais ne sortait pas. Il me prit envie de voir ce qui pouvait le retenir si long-temps. L’appartement était au rez-de-chaussée : je regardai donc à travers les barreaux d’une fenêtre qu’on avait laissée entr’ouverte, sans doute à cause de l’extrême chaleur…

Perico, soit par faiblesse, soit pour tout autre motif, semblait, en continuant sa confession, ne céder qu’avec répugnance à l’ascendant exercé sur lui par fray Serapio : on eût dit un de ces somnambules qui ne dévoilent leur pensée qu’à regret sous le fluide magnétique qui les domine. J’interrogeai le moine du regard pour savoir si je devais m’éloigner ; un coup d’œil me retint à ma place.

— Au-dessous d’une image des saintes ames, continua Perico, sommeillait une vieille femme enveloppée jusqu’aux yeux de son rebozo. Le beau cavalier, que je reconnus, était assis sur un canapé. Agenouillée devant lui, la tête appuyée sur ses genoux, une femme jeune et belle semblait, les yeux levés sur lui, s’enivrer d’une amoureuse contemplation. Le jeune homme effeuillait une rose rouge qui s’épanouissait dans la conque transparente d’un peigne d’écaille que des tresses de cheveux retenaient sur la tête inclinée devant lui. Je compris pourquoi le temps lui paraissait si court. Peut-être le mouvement de compassion que j’éprouvai me sera-t-il compté là-haut pour quelque chose, car je me sentis tout triste d’avoir à couper le fil d’un si doux roman.

— Tu l’as donc tué, malheureux ? s’écria le moine.

— Je m’assis dans l’ombre sur le trottoir en face de la maison. J’étais ému, le découragement m’avait pris, si bien que je m’endormis à mon poste. Le bruit d’une porte qui s’ouvrait m’arracha à mon assoupissement ; un homme sortit. Je me dis alors qu’une parole devait être sacrée, que ce n’était pas le moment d’écouter ma sensibilité naturelle, et je me levai. Une seconde après, j’étais sur les talons de l’inconnu. Les sons d’un piano se firent entendre presque en même temps derrière la fenêtre qui s’était refermée. On sentait que le bonheur devait doubler l’agilité des doigts qui parcouraient le clavier. — Pauvre femme me dis-je, ton amant va mourir, et tu chantes ! — Je frappai… l’homme tomba…

Le sensible Perico se tut et soupira.

— Le chagrin m’avait-il troublé la vue ? reprit-il après un court silence. Un rayon de lune éclaira en ce moment la figure de celui que j’avais frappé. Ce n’était pas mon homme. J’en fus, ma foi, content ; j’avais été payé pour tuer, j’avais tué, et, ma conscience tranquillisée à cet égard, je me mis en devoir de couper une mèche des cheveux de l’inconnu, afin de pouvoir rapporter à celui qui me payait un signe quelconque de l’accomplissement de ma mission. Tous les cheveux se ressemblent, me disais-je. Je me trompai encore ; l’homme que j’avais tué