date antérieure à la Passion du Christ. L’auteur est un poète juif appelé Ézéchiel, qui vivait un ou deux siècles avant notre ère. Ce sont plusieurs fragmens d’une pièce tirée de l’ancien Testament, intitulée à peu près la Sortie d’Égypte. C’était l’Exode paraphrasé. — Le second est un dialogue dont voici les personnages : un paysan, un sage, la Fortune, les Muses, le chœur. La Fortune est entrée chez le paysan. Le prétendu sage en conçoit de la jalousie. Les Muses essaient en vain de le consoler. L’auteur est Plochiros Michaël, la date inconnue. — Le troisième est de Théodoros Prodromos, savant littérateur du XIIe siècle, auteur de plusieurs poèmes. Celui-ci est intitulé l’Amitié bannie. Répudiée par son époux, le Monde, qui, par les conseils de sa servante, la Sottise, prend pour concubine la Méchanceté, l’Amitié raconte son malheur à un homme charitable qui lui a donné l’hospitalité. Elle finit même par le prendre pour second mari, quoiqu’on ne dise pas qu’elle soit veuve du premier, mais apparemment selon cette maxime tragique : « Il me rend mes sermens lorsqu’il trahit les siens. » Au reste, outre que l’Amitié, dans son discours de deux cent trente vers, semble toute confite en dévotion, ce mariage a bien la mine d’être purement allégorique et parfaitement innocent.
Voilà donc où aboutit la tragédie grecque après sa longue décadence. Cette décadence, nous l’avons vue se produire et se consommer. Le grand fait qui la domine, après l’extinction du génie, c’est l’interpolation des œuvres, d’abord par les petits poètes dans les écoles tragiques, ensuite par les comédiens, ensuite par les rhéteurs, ensuite par les Juifs, puis par les chrétiens, et, parallèlement à l’interpolation, le centon, qui en est la contre-partie. L’interpolation et le centon commencent par faire brèche dans la tragédie grecque et finissent par la dissoudre et par l’absorber tout entière. L’interpolation, c’est l’agonie ; le centon, c’est la mort. Le dernier mot de l’un et de l’autre, le dernier excès du genre et la dernière forme très informe de la tragédie grecque au tombeau, c’est la Passion du Christ, ce drame interminable, où tout se passe en récits faits de pièces et de morceaux, cette vaste mosaïque, cette énorme marqueterie, cette éternelle litanie, qui nous rappelle un drame indien, en dix actes, assez ennuyeux aussi, à la fin duquel un des personnages, la prêtresse Camandaki, dit aux autres : « Notre intéressante histoire, si pleine d’incidens variés, est terminée maintenant ; nous n’avons plus qu’à nous féliciter mutuellement. »
ÉMILE DESCHANEL.