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vingt vers ; et remaudit Judas. Joseph, pour couper court, lui annonce qu’on l’a vu pendu. On ensevelit le Christ. La nuit tombe. La Mère de Dieu adresse à son fils, qui est dans le tombeau, un nouveau couplet de cent trente vers, tout rempli de bigarrures et dans lequel les mots de la légende chrétienne : « Tu as vaincu l’enfer, le serpent et la mort, » se détachent bizarrement sur des lambeaux d’Antigone ou d’Alceste : « Tu descends dans ces cavernes sombres, etc. » La même, idée est toujours exprimée au moins par dix formes différentes, quelquefois par trente, l’auteur voulant employer absolument toutes les périphrases qu’il a recueillies. La Mère de Dieu en dit, je crois, en somme, plus d’une centaine sur sa virginité. Enfin elle propose aux femmes du chœur de se retirer toutes avec elle « dans la maison du nouveau fils que son fils unique lui a légué. » Et elles se retirent en effet[1]. Quelques-unes cependant restent aux alentours du tombeau pour observer ce qui se passe. La scène demeure occupée par Joseph, qui converse avec le Théologien très longuement ; il prédit la punition des Juifs, prédiction dont la Mère de Dieu avait déjà touché quelques mots : ils seront dispersés par tout l’univers. Au bout de cette conversation paraît enfin l’aube du troisième jour, ce qui n’est pas, pour le lecteur consciencieux, si invraisemblable qu’on pourrait croire.

Pendant ce temps, si la pièce était représentée, on devait voir, par un double décor, la Mère de Dieu et le chœur dans l’intérieur de la maison. Elle songe à son fils, et sa douleur la prive de sommeil.


« Hélas ! hélas ! quand donc le sommeil descendra-t-il sur mes yeux ?

PREMIER DEMI-CHOEUR. — Pour nous, ô maîtresse, étendues à terre, nous avons reposé, laissant aller nos corps, et toutes, vieilles, jeunes ou vierges, appuyant nos têtes contre le dos les unes des autres, ou bien plaçant nos mains sous nos joues, nous avons pris un peu de sommeil ; mais toi, tu n’as ni dormi ni étendu ton corps, et tu as passé toute la nuit à gémir. Voici l’aurore…

DEUXIÈME DEMI-CHOEUR. — Pour moi, agitée aussi d’inquiétude, je suis étendue à terre, mais sans sommeil ni repos, écoutant, ô Vierge, tes violens soupirs et tes sanglots.

LA MÈRE DE DIEU. – Debout ! debout ! Qu’attendez-vous, femmes ? Sortez, allez du côté de la ville. Approchez-vous autant que cela vous sera possible, vous apprendrez peut-être quelque chose de nouveau. »


Un cinquième messager arrive :


« Où pourrais-je trouver la mère de Jésus ? Est-elle dans cette maison ?

LE CHOEUR. — Tu la vois, c’est elle qui est là. »

  1. Je crois qu’après le vers 1,796, malgré ce vers et le précédent, qui ont pu induire en erreur, c’est toujours Joseph qui parle et non pas la Mère de Dieu. Celle-ci est dans la maison, comme on le voit bientôt après. C’est donc à tort, je pense, qu’on lui fait dire les vers 1,797, 1,798, 1,799.