Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/838

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’abord unique, qui avait été ajouté au chœur pour constituer la tragédie. Même quand il y eut deux et trois personnages, il continua quelque temps à se charger d’un rôle. C’est ainsi que Sophocle remplit ceux de l’aveugle Thamyris et de la jeune Nausicaa qui jouait à la paume avec ses compagnes. Le poète s’adjoignait peut-être deux de ses collaborateurs ou de ses amis ; mais il arriva sans doute que ce moyen manqua. Alors ce ne fut plus le poète, ce fut l’état qui se chargea du soin de faire représenter les pièces. Le chorége payait les choristes, l’état paya les acteurs. Ces acteurs prirent naturellement le nom d’artistes dionysiaques, c’est-à-dire consacrés à Bacchus (Dionysos), en l’honneur de qui ces fêtes dramatiques se célébraient. On les faisait instruire, et bientôt on institua des concours d’acteurs, parallèlement en quelque sorte aux concours de poètes. Comme les représentations dramatiques faisaient partie du culte, c’était un devoir pour les citoyens d’y assister : de là vient que l’état encore distribuait de l’argent à ceux qui n’avaient pas de quoi payer leur place au théâtre, et une loi prononçait la peine capitale contre l’orateur qui eût proposé de prendre l’argent destiné à cet usage pour l’employer à soutenir la guerre.

Ces artistes dionysiaques étaient classés en protagonistes, deutéragonistes et tritagonistes, c’est-à-dire acteurs des premiers, des seconds et des troisièmes rôles. Quelques-uns des protagonistes devinrent célèbres : entre autres, Timothée, ce Théodore, qui jouait si pathétiquement Mérope, Molon, Satyros, qui donna des conseils à Démosthène, Aristodème, et surtout ce Polos d’Égine, qui, pour mieux jouer le rôle d’Électre pleurant sur l’urne de son frère, pleura des larmes véritables sur l’urne même qui contenait les restes de son fils. — Quoiqu’ils menassent pour la plupart une vie assez débauchée, non-seulement ils étaient honorés à ce point qu’on leur élevait quelquefois des statues, mais, ce qui paraît plus étrange, plusieurs, Néoptolème et Thessalos par exemple, furent assez considérés même pour qu’on les chargeât de missions diplomatiques, lorsqu’ils allaient en représentations à l’étranger.

En effet, pendant leurs congés, c’est-à-dire dans l’intervalle des diverses fêtes de Bacchus, prenant sous leur direction et à leur solde d’autres comédiens de moindre talent, ils allaient jouer de ville en ville, moyennant des sommes considérables. Ils étaient engagés d’avance pour un certain nombre de représentations par les magistrats des villes, et ils étaient passibles d’un dédit très fort en cas de retard au jour fixé. C’est ce qu’atteste une inscription découverte en 1844 par M. Le Bas sur les murs d’un théâtre antique, dans les ruines d’Iasos, en Carie. Elle donne aussi la liste d’une troupe dramatique composée ainsi qu’il suit :

Joueurs de flûte : Timoclès et Phoetas.
Tragédiens : Posidonios et Sosipâtre.