l’on accommodait ainsi. Quant à Eschyle, l’entreprise était moins facile : comment démolir ces grands blocs pélasgiques pour en faire des constructions modernes ? et l’on y touchait beaucoup moins. Aussi bien les deux autres plaisaient davantage. Euripide surtout était adoré - Aristophane déjà s’était moqué de cette passion excessive :
- BACCHUS. — N’as-tu jamais eu une envie soudaine de purée ?
- HERCULE (qui était le dieu goinfre.) - De purée ? Oh ! oh ! mille fois dans ma vie.
- BACCHUS. — Me fais-je assez comprendre ? Faut-il en dire davantage ?
- HERCULE. — Pour ce qui est de la purée, c’est inutile ; je comprends fort bien.
- BACCHUS. — Tel est le désir qui me consume pour Euripide.
Il va sans dire qu’outre les chefs-d’œuvre remaniés on faisait paraître des tragédies nouvelles, mais comment nouvelles ? La plupart étaient composées de lambeaux pillés çà et là ; c’étaient des bigarrures ou des redites. Voici donc quelles étaient les deux opérations inverses, mais analogues, de ces rapiéceurs[1] : ou bien ils cousaient des vers de leur façon dans les tragédies des grands maîtres, ou bien ils inséraient des morceaux des grands maîtres dans de mauvaises pièces de leur façon ; la falsification ou le plagiat, l’interpolation ou le centon, procédés analogues, également misérables, ou plutôt pitoyables manipulations. Toutefois il y eut encore çà et là, jusqu’à l’époque d’Aristote, quelques poètes qui n’étaient point méprisables, puisqu’il a daigné les citer : c’étaient, par exemple, Chœrémon, les deux Astydamas, descendans d’Eschyle, les deux Carcinos, qui eurent leur école à part, ce Théodecte dont nous avons parlé, Dicœogène, et deux Sophocle, outre le grand. Les fragmens de ces poètes sont très courts et n’ont pas beaucoup de valeur. Il y en a une cinquantaine de Chaerémon : il paraît qu’il excellait dans les descriptions, ce qui n’est pas directement tragique, et on peut ajouter, d’après quelques-uns des traits qui sont sous nos yeux, que ces descriptions n’étaient pas exemptes d’affectation et de mignardise. Il y a onze fragmens du second Carcinos, huit sous le nom des Astydamas, dix-neuf de Théodecte, dont nous avons cité le plus long, presque rien de Dicaeogène, rien des deux Sophocle. D’un certain Moschion, qu’il faut nommer aussi, on a vingt-trois fragmens, dont un d’une trentaine de vers sur ce thème éternel, la vie sauvage et la naissance des sociétés. Au reste, il est étonnant à quel point les fragmens si peu nombreux de tous ces poètes se répètent les uns les autres ; à chaque pas, on rencontre les mêmes pensées et quelquefois les mêmes expressions à peine retournées. Cela confirme ce qu’on sait d’ailleurs sur les procédés employés dans ces écoles grecques, par suite de cette sorte de communisme dont nous parlions. C’est que, par
- ↑ Nom donné par Aristophane à Euripide, qui était loin de le mériter comme tous ceux dont nous parlons.