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et des fragmens ; — de Sophocle, soixante-dix : il en reste sept et des fragmens ; — d’Euripide, soixante-quinze : il en reste dix-neuf et des fragmens. De tous les autres poètes, pas une seule œuvre n’a survécu. Un assez grand nombre de fragmens très courts, tels sont les seuls monumens que nous possédions des derniers temps de cette tragédie. On y peut joindre une sorte de drame chrétien de plus de deux mille six cents vers, composé avec des centons d’Euripide, ayant pour titre la Passion du Christ, et trois autres morceaux dramatiques d’un genre analogue, mais moins étendus[1]. Quelle perte que celle de tant de pièces, dans lesquelles on aurait pu suivre la décadence de cette grande tragédie ! Dans l’espace d’un siècle à peine, le Ve avant notre ère, elle naît, grandit, atteint la perfection, et décline ; bientôt elle est à l’agonie, mais cette agonie dure plusieurs siècles. Et que d’aperçus nouveaux sur les chefs-d’œuvre mêmes l’étude de ces œuvres inférieures eût pu présenter ! car c’est surtout à travers sa décadence qu’il faut regarder une littérature pour la bien voir. Chez nous, par exemple, apercevrait-on aussi clairement combien le système tragique du XVIIe siècle est artificiel et abstrait, s’il fallait le juger uniquement d’après les œuvres des deux grands poètes dont le génie a su l’animer ? Non ; pour l’apprécier à sa juste valeur, c’est dans les tragédies du siècle suivant qu’il faut l’étudier, dans Campistron, dans Châteaubrun, dans La Harpe, dans Voltaire même ; alors il est jugé. Quel regret de ne pouvoir contrôler de la même manière le système tragique des Grecs ! Combien ces dernières œuvres nous eussent-elles peut-être offert d’analogies inattendues avec le théâtre moderne ! Qui sait enfin combien d’horizons imprévus au-delà de l’horizon déjà si nouveau d’Euripide ! Interrogeons du moins les fragmens qui nous restent ; cherchons à préciser comment se fit cette décadence, dont les ruines seules sont sous nos yeux.

Dès que les trois grands poètes, Eschyle, Sophocle, Euripide, sont morts, la tragédie elle-même commence de mourir. Dans l’année même, on la juge et on règle ses comptes : Phrynichos d’abord[2], dans sa comédie des Muses, fait comparaître Euripide et Sophocle à leur tribunal ; Aristophane ensuite, dans sa comédie des Grenouilles, instruit le procès d’Eschyle et d’Euripide. La première de ces deux pièces est perdue ; mais nous avons la seconde. En voici quelques vers :

XANTHIAS. — Que va-t-il donc se passer ?

ÉAQUE. — Par Jupiter ! tout à l’heure, en ce lieu même, un étrange combat va s’émouvoir. On va peser la poésie dans la balance.

  1. Le dernier volume de la Bibliothèque grecque, éditée par Firmin Didot, contient ces précieux débris. Ce n’est pas l’un des moins intéressans de cette belle collection.
  2. Qu’il ne faut pas confondre avec le vieux poète tragique Phrynichos, nommé plus haut.