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déjà maîtresse de Gibraltar, s’empare de Malte et de Corfou, elle ouvre vers les Indes, par l’Euphrate et la mer Rouge, de nouvelles voies à son commerce ; mais, plus soucieuse d’exploiter le monde que de le policer, elle ne se mêle aux peuples barbares qu’autant qu’il convient à ses intérêts. Les réformes du sultan Mahmoud et de Méhémet-Ali sapent par la base l’établissement politique du prophète. La Russie s’avance sur l’empire ottoman et ne lui laisse d’autre alternative que de s’approprier les forces de la civilisation moderne, ou de devenir la conquête d’un peuple capable d’en doter son territoire. La mer qui séparait jadis le monde musulman du monde chrétien sert à les unir dans des relations que chaque jour resserre et multiplie. En trois années de séjour en Égypte, les armées françaises sèment sur les tombeaux des Pharaons des germes qui éclosent au bout de trente ans ; elles labourent de leur puissante épée le sol de l’Italie et de l’Espagne, mais elles transportent au sein des peuples qu’elles arrachent violemment à leur repos ces principes de la révolution qui doivent faire le tour du globe : abattues un moment sous l’Europe coalisée, elles se relèvent pour rallumer en Grèce le flambeau où s’éclaira le genre humain ; à peine délassées, elles écrasent en Afrique la piraterie barbaresque et jettent sur une côte ensevelie depuis quinze cents ans dans de sanglantes ténèbres les fondemens d’un empire fraternel. Voilà dans la Méditerranée l’œuvre de la première moitié du XIXe siècle ! Que sera celle de la seconde, assise sur une bien plus large base, édifiée avec de bien plus puissans moyens ?

Puisse la part de la France ne pas être moindre dans les événemens qui s’accompliront que dans ceux qui les ont préparés ! Puisse-t-elle s’élever en même temps que tous les peuples à la régénération desquels elle a tendu la main ! La nature a placé sur la côte de Provence le foyer de notre influence sur cette mer où s’entrelacent les relations du monde entier : sachons le consolider, l’étendre, et transmettre à nos neveux un héritage digne de celui que nous avons reçu de nos pères.

J.-J. Baude.