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sont employés à l’irrigation ; que l’aménagement en est si mauvais, que les dérivations actuelles pourraient arroser 13,000 hectares de plus qu’elles ne font ; que les eaux qui se perdent à la mer subviendraient à l’arrosement de 27,000 hectares de prés : d’où il suit que la quantité de bétail et d’engrais produite dans le département pourrait être au moins sextuplée, et que la fécondation des terres arables s’accroîtrait dans cette proportion. Dans les Pyrénées orientales et dans les parties de l’Espagne qui ont été fécondées par le génie arabe, la culture des prairies ne passe pas pour le meilleur moyen de tirer parti des eaux d’irrigation ; en appliquant celles-ci aux céréales et même à certains arbres, en promenant successivement sur un sol trop étendu pour être arrosé à la fois des prairies qu’on livre à la charrue après quelques années[1], on croit obtenir une beaucoup plus grande masse de subsistances, et le maximum de produit ne devrait être nulle part aussi soigneusement recherché que dans le département de France où le déficit est le plus considérable.

Les avantages du bon aménagement des eaux conduiraient inévitablement au reboisement des montagnes dont elles descendent. Quand nos pères plaçaient les eaux et les forêts sous la même surveillance et les confondaient dans les mêmes soins, ils ne faisaient que transporter dans la législation une connexité consacrée par la nature, et déduire les conséquences de ce fait, qu’il ne sort des montagnes dépouillées que des torrens alternativement débordés et desséchés, tandis que les eaux des bassins boisés s’écoulent toujours en ruisseaux réguliers. Je ne serais pas embarrassé de signaler, dans les Alpes et les Pyrénées, de nombreux exemples de gorges adjacentes, à l’issue desquelles la plaine est, suivant l’état forestier de la région supérieure, ici fécondée par un arrosage constant, là périodiquement désolée par la sécheresse ou par l’inondation. Reboiser les hauteurs, c’est étendre les irrigations à leur pied. Le bois est d’ailleurs par lui-même, soit comme élément de matériel naval, soit comme objet d’exportation, une des plus précieuses richesses d’un pays baigné par la mer, et la Provence doit, à ces divers titres, des soins particuliers à sa reproduction.

S’il y est aujourd’hui rare, la faute en est à l’incurie des hommes et non à l’ingratitude du sol. Ces pentes que nous trouvons si nues ont été jadis ombragées, et les nombreuses touffes d’arbres qui s’y montrent

  1. Ces combinaisons, qui peuvent paraître nouvelles dans le département du Var, ne le sont pas partout ; elles sont décrites, et cette description n’a pas vieilli, par l’Olivier de Serres de l’agriculture arabe, Ebn-et-Awam, qui écrivait à Séville au VIe siècle de l’hégire ou au XIIe de l’ère chrétienne. Son Traité d’Agriculture, dont la bibliothèque de l’Escurial possède un manuscrit complet, a été traduit en 1802 par don José Banqueri pour l’instruction des cultivateurs espagnols, et nos compatriotes des départemens du midi auraient beaucoup à gagner à cette lecture.