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La ville est groupée sur le dernier gradin de l’Estrelle, qui la couvre du nord ; son église couronne un monticule que la vague enveloppe d’une frange d’écume. Élevée ainsi sur la mer, Notre-Dame-d’Espérance rassure au loin les matelots ; elle est la patronne d’une association formée entre eux pour l’assistance des vieillards, des veuves, des orphelins, et chaque génération attend de celle qui la suit le service qu’elle rend à celle qui l’a précédée. Le jour de la Visitation, l’image de Notre-Dame quitte sa niche de l’église pour la proue d’un navire, et reçoit dans le port les vœux de ses fidèles pêcheurs. Par une tempête, on voit agenouillés à ses pieds les mères, les femmes, les enfans de ceux qui sont à la mer ; mais c’est, dit-on, ici comme à Naples, où passato il pericolo, è gabbato il santo.

Le port de Cannes n’était, il y a dix ans, qu’une anse bien abritée et bordée d’un large quai ombragé d’arbres. Le projet de l’améliorer était justifié par l’état du commerce local ; la moyenne du produit des douanes des cinq dernières années excédait 105,000 francs. Une somme de 1,140,000 francs affectée à cette entreprise[1] a servi à la construction d’un môle de 150 mètres dirigé vers le sud-est. Quoi qu’on en ait dit, ce môle ne pouvait pas être d’un grand secours aux bâtimens de guerre ; leur mouillage est séparé du port par un échiquier de roches à peine couvertes de 3 mètres d’eau, et peu leur importe un abri dont l’accès est hérissé de tant de dangers ; inutiles sous ce point de vue, les travaux ont été malheureux sous un autre ; le môle retient dans le port des sables qui jadis passaient outre, et l’on se plaint de ne plus accoster la terre aussi facilement que par le passé. Ce n’est pas la première fois que nos ingénieurs tombent en pareille faute. Ceux d’Italie ne manquent pas, lorsqu’il y a danger d’ensablement, de favoriser par des arcades ouvertes à la racine de leurs môles et par la direction des ouvrages accessoires l’action des courans qui peuvent le prévenir. C’est sur ce principe qu’ont été construits à Ancône les môles de Trajan et de Clément IV, et c’est pour l’avoir méconnu que nous avons gâté ce port en 1807 ; nos prétendues améliorations ont eu pour effet immédiat l’obligation de doubler les moyens de curage. Plusieurs ports du royaume de Naples offrent des exemples de ce système de construction que nous devrions souvent nous approprier.

La détérioration de l’anse de Cannes a été compensée par des travaux d’une autre nature ; la route départementale de Grasse et la route royale de Lyon à Antibes, sur laquelle s’embranche la première, ont ouvert au port, par des améliorations presque équivalentes à une construction neuve[2], une artère qui pénètre dans les deux départemens des Alpes,

  1. Lois des 19 juillet 1837 et 6 juillet 1840.
  2. Une somme de 1,792,000 francs était réputée nécessaire, en 1831, pour la mise à l’état d’entretien de la route royale dans le seul département du Var : 1,376,000 francs étaient déjà dépensés à la fin de 1843.