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impénétrable à cet infortuné que l’est demeuré pour nous le mystère de son individualité. Sa chambre est aujourd’hui le cachot de punition des prisonniers arabes détenus dans la forteresse : hommes, femmes, enfans, ceux-ci sont au nombre d’environ 150 ; ils supportent leur captivité avec la résignation particulière à l’islamisme, et cherchent la patrie absente dans des tracés de mosquées, interdits à tout pied profane, qu’ils font sur le sol avec de petits cailloux. Si quelqu’un d’entre eux sait l’histoire, il raconte sans doute à ses compagnons d’infortune que leurs ancêtres ont été pendant près de cent ans maîtres de la côte qu’ils ont devant les yeux[1], que leur domination ne fut qu’une longue oppression, et ne sut rien faire pour s’attacher le peuple au milieu duquel elle s’établissait, qu’ils finirent par être chassés.

Cannes est le port des îles et des deux golfes. Le nom de cette jolie petite ville est devenu célèbre le 1er mars 1815 par le débarquement de Napoléon. Il mit pied à terre à trois kilomètres à l’est, au bord du golfe Jouan. Rien n’est plus délicieux que les environs de Cannes ; c’est mieux que la Provence et mieux que l’Italie : transportez les plus rians paysages de la Suisse au bord d’une mer transparente, mêlez à leurs pins séculaires des vignes, des oliviers, des orangers, éclairez-les d’un soleil plus doux que celui de Naples, et vous aurez le golfe de la Napoule. L’hiver n’est ici connu que de nom : tandis que Paris grelotte et s’enrhume. Cannes voit en janvier les œillets, les jasmins et les roses fleurir au pied de ses bosquets de citronniers. La douceur du climat y réagit sur les mœurs ; elle pourvoit à la moitié des besoins des hommes et prodigue ici des biens qui ne s’obtiennent ailleurs qu’à force de travail et de peine. De bons esprits en ont ainsi jugé, et l’on vient aujourd’hui de fort loin s’asseoir au soleil de cette côte. Lord Brougham, y cherchant une place, s’est gardé de se fixer à la légère. Incertain d’abord entre Cannes et Nice, il a comparativement étudié les expositions, les vents, les influences hygiéniques des deux pays, et il n’a construit à Cannes sa charmante villa qu’après s’être assuré que le climat en était très préférable. Ses voisins vont jusqu’à prétendre, dans l’intérêt de leur cause, que, Nice l’eût-elle emporté sous ce rapport, le noble lord se serait rendu à la supériorité de saveur des productions, et particulièrement du poisson, de Cannes : c’est en effet dans les deux golfes, et point ailleurs, que se pêche le Saint-Pierre, cet ortolan de l’ichthyologie. L’exemple et l’opinion de sa seigneurie ont déjà, du reste, entraîné plusieurs de ses compatriotes, et il se forme aux portes de Cannes un quartier des Anglais, qui laisse entrevoir un rival futur des faubourgs de Nice.

  1. De l’an 889 à l’an 975. Voir le savant livre de M. Reinaud, de l’Institut, sur les Invasions des Sarrasins en France, en Piémont et en Suisse pendant les VIIIe, IXe, Xe siècles ; in-8o. Paris, 1836.