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devait finir par la réunion du Roussillon à la France. Le 13 septembre, l’ennemi vint avec 22 galères, 5 vaisseaux et quelques bâtimens légers, attaquer l’île Sainte-Marguerite, dont la faible garnison fit une vigoureuse mais inutile résistance ; il échoua le lendemain dans l’attaque du fort de la Croisette, où s’était précipitamment jetée la noblesse des environs ; portant tout son effort sur Saint-Honorat, il s’en rendit maître le 15. Nos armées étant occupées ailleurs, les Espagnols eurent le temps de s’établir solidement dans les deux îles. Indépendamment des troupes à terre, ils avaient souvent, dans le canal, une escadre de galères.

Cet événement fut une cruelle déconvenue pour le cardinal de Richelieu et pour Louis XIII, chez qui le seul sentiment vif et profond était celui de la nationalité. Les prélats portaient alors volontiers la cuirasse. M. de Sourdis, archevêque de Bordeaux et chef des conseils de l’armée navale, eut ordre de réunir dans les ports de l’Océan les forces nécessaires pour tenir la mer Méditerranée et ressaisir les îles. Ces dispositions prirent du temps : notre flotte ne put reconnaître que le 18 août 1636 les travaux de défense des Espagnols ; elle vit, le 29, la flotte ennemie s’installer dans le canal, et en battit une partie, quelques jours après, dans les parages de San Remo ; mais l’archevêque ne se crut en mesure d’attaques les îles qu’au mois de décembre, et l’entreprise avorta. Malgré les ordres réitérés du roi et du cardinal, malgré leurs instances mêmes, une nouvelle attaque fut retardée jusqu’au 24 mars 1637 ; elle échoua encore. Le 28 enfin, nos soldats réussirent à s’établir sur les glacis du fort de Monterey ; mais Sainte-Marguerite ne se rendit que le 12 mai, et Saint-Honorat le 14.

Ainsi les Espagnols avaient gardé les îles pendant vingt mois entiers. A la vérité, l’incertitude et la mollesse de nos opérations avaient tenu à deux causes dont l’influence a souvent été fatale à nos armées, les vices de l’administration et la mésintelligence des chefs ; mais la direction générale de la guerre n’avait pas moins été entravée par une diversion très profitable à l’ennemi, et il en avait coûté, pour reprendre les îles, fort au-delà de ce qui serait nécessaire pour rendre le golfe Jouan inexpugnable[1].

La fumée du combat était à peine dissipée, qu’une correspondance d’un haut intérêt s’établissait entre M. de Sourdis et le grand cardinal sur les moyens de mettre en sûreté les îles reconquises et la côte de Provence en général. L’archevêque insistait sur l’importance du golfe Jouan : « C’est, disait-il en se résumant, la tête du royaume ; c’est aussi la plus belle situation qu’on puisse voir, puisque de là toutes les partances sont excellentes, et que de toutes les navigations qu’on fait à

  1. Voir la Collection des Documens inédits sur l’histoire de France : correspondance de Henri de Sourdis ; ordres, instructions et lettres de Louis XIII et du cardinal de Richelieu sur les opérations maritimes de 1636 à 1642.