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100,000 tonneaux, le commerce économiserait sur ce seul article au-delà de 60,000 francs par an ; enfin ce ne serait pas pour l’art moderne une médiocre gloire que la résurrection de l’œuvre de César et d’Auguste, avec des garanties de durée dont eux-mêmes n’avaient pas su la doter[1].

Telle serait, dans les résultats des travaux proposés, la part directe de la navigation : voyons si celle de l’agriculture serait beaucoup moindre.

Si le creusement du nouveau lit de l’Argens est la première condition de la conservation de la rade, il est aussi celle de l’assainissement, du colmatage et de la mise en culture de la plage. Les dépôts de l’Argens, si nuisibles quand ils envahissent le domaine de la mer, ne seront que bienfaisans quand ils seront employés à l’exhaussement d’un sol trop bas, au comblement des lagunes qui infectent la plaine. On n’obtient pas une agriculture vigoureuse d’une population sujette aux fièvres périodiques ; il faut d’abord lui rendre, avec la santé, toute sa capacité de travail. Ce n’est pas tout : le soleil de la Provence vaut celui de l’Espagne ; mais, au lieu de ressembler au Xucar et au Guadalaviar, ces rivières du royaume de Valence, qui, taries pendant la belle saison par les canaux d’irrigation qu’elles alimentent, ne portent pas à la Méditerranée une seule goutte d’eau, l’Argens en jette à la mer 8 mètres cubes par seconde. C’est de quoi arroser 10,000 hectares de prairies ou 30,000 de terres arables ; c’est de quoi convertir en jardins la partie des vallées de l’Argens et du Nartuby qu’on découvre de Fréjus. M. Bose, auteur d’un remarquable travail sur les cours d’eau du département du Var, a rédigé les projets de deux dérivations de l’Argens qui desserviraient, de Vidauban à Fréjus, une étendue de 3,900 hectares, et il a combiné son système d’arrosement avec le colmatage des lagunes et de toutes les parties basses comprises entre les canaux. Exécuter de pareils travaux, c’est assainir tout un pays, c’est déterminer la création d’une valeur annuelle de plusieurs millions en denrées, et, ce qui vaut mieux,

  1. J’aurais voulu donner l’étendue exacte du port romain de Fréjus, et j’en ai cherché la mesure dans la collection d’anciens plans que possède la Bibliothèque royale. Ces plans remontent tous à une époque où le besoin de précision dans la topographie était peu senti, et je dois avouer qu’ils présentent des différences assez difficiles à concilier. Quoi qu’il en soit. Je crois ne pas m’écarter beaucoup de la vérité en évaluant à une douzaine d’hectare la superficie du port d’Auguste, et à une cinquantaine de mètres la largeur de l’ancien chenal. Sa direction formait un angle de 30 degrés avec celle qu’il faudrait donner au nouveau pour le faire déboucher dans les eaux de Saint-Raphaël. Au reste, l’insuffisance de ces renseignemens sera bientôt réparée par la publication d’un mémoire dans lequel mon savant ami M. Charles Texier rétablit, avec la sagacité d’un antiquaire et la précision d’un géomètre, l’ancien état de Fréjus. L’intérêt archéologique de ce travail ne sera pas le seul qu’il présente, et sans doute il ne profitera pas moins à l’avenir qu’il n’éclaircira le passé.