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des cultivateurs et des matelots, et deviennent pour leurs familles une précieuse ressource.

L’histoire de Saint-Tropez est, parmi celles de nos villes du Midi, l’une des plus tragiques et des plus glorieuses. Le golfe est le Sambracitanus sinus des Romains, et la ville est bâtie sur l’emplacement de l’ancienne Heraclea Caccabania. Après une héroïque défense contre les Sarrasins, elle fut prise par eux en 730, rasée, et la population massacrée. Relevée au Xe siècle par Guillaume de Provence, elle fut de nouveau désertée par suite des continuelles incursions des Barbaresques ; les avantages maritimes de sa position y rappelaient en vain des habitans ; la piraterie et le brigandage les repoussaient, et, au milieu du XVe siècle, la ville était complètement abandonnée. Enfin, en 1470, onze ans avant la réunion de la Provence à la France, Raphaël Galesio, gentilhomme génois, obtint du roi René l’autorisation de s’établir, avec soixante de ses compatriotes, sur les ruines de Saint-Tropez. Cette énergique colonie se mit à couvert derrière une muraille ; elle répara le port, et les deux tours du Portalet et de Saint-Elme, qui le protégent encore, sont son ouvrage. Galesio n’attendit pas que les Barbaresques vinssent dévaster son asile : il alla les chercher dans leurs repaires ; c’était, pour assurer son repos, le parti le plus courageux, le plus sûr et le plus prudent. Le golfe fut bientôt nettoyé, et les pirates apprirent à trembler à leur tour. La population ne tarda pas à se presser dans un refuge qui lui offrait une sûreté si rare alors sur cette côte, et Galesio fut dans l’heureuse nécessité de détruire sa première enceinte devenue trop étroite. Le commerce compléta l’œuvre du courage, et, dans le siècle suivant, Saint-Tropez atteignit un degré de prospérité auquel il n’est pas remonté. Depuis lors, ses habitans se sont toujours montrés dignes de leur origine. Ils ne se laissèrent entamer, en 1524 et en 1536, ni par le connétable de Bourbon, ni par Charles-Quint ; en 1637, ils mirent en fuite vingt galères espagnoles qui avaient surpris la ville ; en 1707, leur bonne contenance ôta l’envie de les attaquer à l’armée impériale maîtresse de Fréjus ; en 1812, une escadre anglaise poursuivant jusque dans leurs eaux un convoi marchand qui venait de Corse, ils se joignirent aux marins de l’escorte, débarquèrent leurs pièces, en armèrent le port et firent lâcher prise à l’ennemi.

C’est à Saint-Tropez que Napoléon s’embarqua, le 28 avril 1814, pour l’île d’Elbe. Ainsi, cette longue course en Europe, dans laquelle il avait traversé Milan, Vienne, Berlin, Madrid, Moscou, et immortalisé les champs de Marengo, d’Austerlitz, d’Iéna, d’Eylau, de la Moskova, de Bautzen, se terminait à moins de dix milles de Saint-Raphaël, où il l’avait commencée le 8 octobre 1799. En sortant du golfe, l’empereur aperçut au nord la plage où la Muiron l’avait déposé général de l’armée