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a servi de point principal de ravitaillement à l’armée du maréchal de Belle-Isle, et il en sera de même toutes les fois que les opérations de la guerre retiendront long-temps nos troupes en-deçà du Var. La possession de Saint-Tropez est, en pareil cas, d’une grande importance, soit pour assurer nos approvisionnemens, soit pour gêner ceux de l’ennemi. Henri IV, dont la prévoyance active s’est étendue sur toute cette côte, a fait construire, en 1593, sur le mamelon élevé qui domine la ville et commande les deux mouillages adjacens, la forte citadelle qui suffit encore à leur défense. Le port admet de grandes corvettes ; il a 4 hectares 30 de surface et le développement de ses quais est de 670 mètres. Le président de Séguiran trouvait en 1633, dans la ville, 5,000 habitans, dont 600 marins : le matériel naval, sans les bateaux de pêche, consistait en 38 bâtimens portant 2,850 tonneaux ; il est aujourd’hui, bateaux, de pêche compris, de 163 navires et de 3,132 tonneaux ; il n’a donc rien gagné depuis deux cents ans. La population est de 3,6117 ames, et le mouvement du port approche de 32,000 tonneaux.

Un des principaux objets du commerce de Saint-Tropez est le liége. L’arbre qui le porte (quercus suber) est surtout cultivé dans les environs de la Garde-Freinet, bourg d’origine sarrasine, situé à 20 kilomètres de Saint-Tropez : l’on brûle et l’on extirpe toutes les broussailles qui disputent à l’arbre l’air ou les sucs de la terre ; on l’élague lui-même de manière à favoriser le développement de son écorce, et cette exploitation est devenue un art auquel il ne reste presque plus de progrès à faire. Tel bois voisin de la Garde-Freinet qui ne rendait pas cent écus, il y a quarante ans, rend aujourd’hui de 4 à 5,000 francs ; le bourg lui-même, qui n’avait pas alors cinq cents ames ; en comptait au dernier recensement seize cent quarante, et sa richesse s’est encore plus accrue que sa population. Ce sont des essaims de ses laborieux habitans qu’une administration intelligente devrait appeler à l’exploitation des forêts de liéges qui s’étendent sur le littoral de l’Algérie. Indépendamment de ses anciens usages, le liège reçoit aujourd’hui de nouveaux emplois dans le nord de l’Europe ; il est plus mauvais conducteur du calorique qu’aucune autre substance ligneuse, et cette propriété négative le fait rechercher pour la garniture intérieure des voitures, des navires, des appartemens, que l’on met de la sorte à l’abri du froid. Nos exportations de liège atteignent actuellement une valeur annuelle de 4 millions, dont les trois quarts viennent des entrepôts : la culture nationale a donc une marge fort étendue à remplir, tandis que, d’un autre côté, la Provence est prête à lui livrer une longue zone de terrains secs, montueux et impropres à tout autre usage. Il n’est pas hors de propos d’ajouter que les préparations que reçoit la planche de liége et la fabrication des bouchons s’intercalent de la manière la plus heureuse dans les travaux