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grande solennité religieuse, la fête de saint Élie. Ce jour-là me parut encore plus long que les autres, car je fus presque constamment étourdi du carillon qu’on faisait dans l’église attenante à l’écurie. Les moines commencent par frapper avec un marteau de bois sur une planche. Ces roulemens, d’abord imperceptibles, vont toujours en augmentant de force et de vitesse, jusqu’au moment où ils se terminent par quelques coups secs ; après quoi le moine prend un marteau de fer et exécute le même carillon sur un segment de cercle en cuivre qu’on isole en le suspendant par deux cordes. Le bruit est aussi fort que celui d’une cloche et beaucoup plus aigu.

La bizarrerie et la nouveauté de ces mœurs et de ces usages ne donnaient qu’imparfaitement le change à mon impatience. Enfin, un matin, j’entendis dans la rue un bruit inaccoutumé, et je reconnus la voix du lieutenant de l’Argus. Je sortis aussitôt de mon écurie, et j’aperçus une partie de l’état-major, escortée d’une compagnie de débarquement. En quelques mots, ils furent au courant de ma situation. Ils avaient la patente en règle et entrèrent immédiatement dans la salle où l’on m’avait interrogé. Le lieutenant tança vivement les moines sur les tracasseries auxquelles j’avais été en butte. La vue des armes leur imposait tellement, qu’ils s’excusèrent à qui mieux mieux et rejetèrent tout sur l’aga. On courut le chercher pour lui faire signer notre patente ; mais il s’était caché, lui et ses janissaires, et il n’y eut pas moyen de le trouver, malgré les perquisitions acharnées des matelots, qui voulaient tout bouleverser. Le lieutenant rédigea sur-le-champ un rapport très circonstancié, adressé au consul français de Salonique ; mais j’imagine que ce rapport aura été intercepté par l’aga, intéressé à faire disparaître la plainte.

Je partis pour le couvent de Vatopedi, muni de lettres de recommandation du président du sénat. L’apparition du lieutenant de l’Argus et d’une partie de l’état-major avait décidément produit un bon effet, car je fus admirablement reçu par les moines. L’église principale de Vatopedi est peinte entièrement par Panselinos ; l’ordonnance est la même qu’à Aghia-Labra. L’image de l’empereur Jean Cantacuzène, qui, après avoir quitté le trône, vint finir ses jours à Vatopedi, se voit dans plusieurs fresques de l’église. Je témoignai le désir de visiter la bibliothèque, et l’on m’y conduisit. Les livres sont en très petit nombre, et l’état dans lequel ils sont laissés prouve le peu de cas que les moines en font. Je n’y ai vu que des ouvrages liturgiques. M. Minas, qui a fait de ces bibliothèques une étude particulière, a découvert des manuscrits précieux ; mais, au point de vue de l’art, on n’y trouve guère de remarquable que quelques enluminures de peu d’importance.

Les jours d’attente si péniblement passés à Kariès me forcèrent d’abréger