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éloigné, avec ce qu’elles ont la prétention de reproduire. Ces gravures ne s’obtiennent pas, comme aujourd’hui en Europe, par des planches à surface plate, mais, comme dans l’enfance de l’art, au moyen d’un cylindre en étain que l’on fait rouler sur le papier destiné à recevoir l’empreinte. Nul vestige, du reste, dans ces imprimeries, de publications d’aucun genre. Je ne crois pas qu’il se soit depuis long-temps imprimé un seul livre dans aucun des vingt-trois couvens du mont Athos.

L’absence totale de femmes, commune à toutes les parties du mont Athos, devient à Kariès plus caractéristique par le mouvement d’une population agglomérée où l’on ne voit partout que des caloyers, marchands, acheteurs et promeneurs. Kariès offre le spectacle unique en Europe d’une ville de moines exerçant à eux seuls tous les travaux de la vie civile. De distance en distance, on trouve, dans les rues, des bancs de bois sur lesquels les religieux viennent s’asseoir les jambes croisées, et causer en roulant dans leurs doigts de longs chapelets de nacre.

Il existe à Kariès une tradition fort curieuse, et qui prouve combien sont vivaces les antipathies créées par les querelles théologiques. Les habitans prétendent qu’un pape dont ils ne donnent du reste pas le nom, furieux, à son retour de Constantinople, de ce que l’église grecque n’eût pas voulu reconnaître son autorité, fit trancher la tête de tous les moines de Kariès et incendia plusieurs monastères. On voit au couvent de Zographou une fresque qui montre ce pape présidant à l’incendie. Au couvent de Xilandari, on a fait plus encore : le pape y est représenté englouti dans l’enfer avec Mahomet et Arius. Pour peu que s’enveniment les rancunes qui divisent les moines entre eux, nous ne désespérons pas d’apprendre un jour que les vingt-trois couvens de l’Athos se seront réciproquement damnés avec la même aménité chrétienne. Du reste, ces traditions et les fresques qui en constatent le souvenir sont d’une date relativement peu ancienne. Dans d’autres couvens, décorés à une époque antérieure au Xe siècle, lorsque l’église grecque ne s’était pas encore séparée de l’église latine, on trouve les images de saint Silvestre et de saint Léon désignés sous le nom de papes de Rome, dans le sens du mot papas, qui, en Orient, désigne les évêques. C’est, pour le dire en passant, une preuve de plus à l’appui de notre opinion sur l’ancienneté des fresques de Panselinos. En effet, les peintres de l’Athos qui, antérieurement au Xe siècle, se montraient si respectueux pour les papes de Rome, ne faisaient qu’appliquer les préceptes du moine Denys, qui lui-même vivait certainement après Panselinos, puisqu’il a réuni dans son Guide de la Peinture les principes de ce maître et de son école.

Après ces promenades, il fallut bien rentrer dans ma prison. La fièvre m’avait repris et ne me quittait pas. Les jours se succédaient ainsi dans une pénible attente. Il en est un qui fut marqué par une