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choisi chaque année celui qui doit présider la république. Le grand conseil réuni administre les revenus des couvens et applique les peines disciplinaires qu’encourent les moines en transgressant les statuts. C’est aussi à Kariès que réside l’aga qui représente le gouvernement turc. La force publique dont il dispose se borne à douze janissaires, milice plus que suffisante depuis le désarmement de la presqu’île, après la lutte opiniâtre que soutinrent les moines lors de la guerre de l’indépendance. Ses fonctions se bornent à percevoir le tribut et à faire observer les mesures sanitaires.

En arrivant dans la ville, je fus reçu par le président de la république, auprès de qui je m’informai si le commandant de l’Argus n’avait pas envoyé ma patente de santé. Ce haut fonctionnaire me répondit qu’on n’avait vu personne, d’un air qui me prouvait qu’il n’ajoutait aucune foi à mes paroles. Je lui dis que ma patente ne devait pas tarder d’arriver et que je l’attendais. Il m’assigna pour prison momentanée les écuries de l’aga, où je pus tout à mon aise me livrer à mes réflexions. Cependant, comme cette réclusion pouvait se prolonger assez long-temps si je n’y avisais, je pris le parti d’écrire une lettre pressante au commandant du brick l’Argus, et je gagnai un de mes gardiens, qui, moyennant une somme convenue, se chargea de porter cette lettre de l’autre côté de l’Athos.

La maison de l’aga est, comme propriété turque, le seul endroit de la montagne où soit permis l’usage de la viande. On tuait tous les jours cinq moutons dans l’écurie qu’on m’avait donnée pour prison, et je m’étonnais de la quantité de viande consommée par l’aga et ses douze janissaires ; je m’aperçus bientôt que, même au mont Athos,

Il est avec le ciel des accommodemens.


Les moines sénateurs viennent habituellement rendre visite à l’aga, et ne manquent jamais de s’arrêter dans son écurie pour y acheter un morceau de viande qu’ils emportent ensuite caché sous leurs robes noires. Je compris que les moines sénateurs ne craignaient pas de violenter un peu leur dignité de magistrats pour se dédommager, pendant leur séjour à Kariès, du régime par trop végétal dont je m’étais si mal trouvé. En se réservant exclusivement les moyens de favoriser ces innocentes transgressions de la règle monastique, l’aga me parut avoir pas fait de son côté une spéculation trop maladroite.

Je venais de passer assez tristement quelques heures à observer l’étrange population qui m’entourait, lorsque je fus appelé devant le conseil de la république. Les janissaires me firent entrer dans une grande salle ; les sénateurs étaient assis alentour sur les divans ; au fond était une image de la Panaghia ou toute-sainte, comme les Grecs désignent habituellement la Vierge. L’aga était à côté du président et