Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/787

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cellule. Ces gravures figuraient Napoléon seul, fuyant comme un lâche, disait le texte franco-russe, devant l’élite des nations de l’Europe. Cette haine des Turcs est générale chez les Grecs, et pourtant la domination turque ne pèse pas fort durement sur eux. Elle se borne à un léger tribut, moyennant lequel les moines achètent le droit de se gouverner selon leurs statuts.

Mon guide, devenant de plus en plus confiant, me demanda si j’étais catholique, et, sur ma réponse affirmative, il me pria de lui montrer comment se faisait dans notre communion le signe de la croix. Un rire inextinguible, et que, eu égard aux lieux où je me trouvais, j’appellerais volontiers homérique, s’empara de lui aussitôt mon signe fait, et, rapprochant le pouce de l’annulaire, il affirma du plus grand sérieux que le seul signe orthodoxe était celui dont il m’offrait la représentation. — Cette grave contestation me montrait les subtilités théologiques du Bas-Empire survivant même à sa chute et se prolongeant à travers les siècles. Tous les moines de l’Athos appartiennent à l’église grecque ; mais ils sont divisés par des schismes sans nombre. La différence la plus insignifiante dans une de leurs cérémonies suffit pour développer et entretenir entre eux d’irréconciliables inimitiés.

Je visitai l’église, que je trouvai nouvellement repeinte et par conséquent très inférieure à tout ce que j’avais vu. Une des chapelles n’était masquée que par des planches, et je pus entrevoir les moines qui en terminaient la décoration. Je frappai à plusieurs reprises ; enfin l’un d’eux vint m’ouvrir en grommelant. Je lui dis que j’étais peintre français, et que j’étais venu pour étudier leurs œuvres et connaître leurs procédés. Je leur fis cadeau de crayons, et la liaison fut bientôt faite. Ils prirent sans façon le carton que j’avais sous le bras et se mirent à regarder les dessins sens dessus dessous en riant à gorge déployée. Ils paraissaient ne rien comprendre aux dessins de paysage. Enfin ils consentirent à travailler devant moi, et je pus m’initier à leurs procédés. Avant de peindre, les moines mettent le mur à nu, et, revêtant les briques d’une couche de plâtre qu’ils unissent à la truelle, ils ne couvrent à la fois que ce qu’ils peuvent exécuter dans la journée. Cela fait, le plus fort d’entre eux, le plus savant, indique ce qu’il faut représenter, quelle grandeur doit avoir le personnage et comment il doit être placé. Il désigne ensuite la légende qui doit l’accompagner. Le moine immédiatement placé sous ses ordres trace alors un contour au brun-rouge. Celui que j’ai vu peindre faisait généralement ses têtes beaucoup trop grosses ; elles se ressemblaient toutes. A mesure qu’il avait terminé un trait, il livrait son travail à un troisième peintre beaucoup plus jeune. Celui-ci ajoutait à la figure quelques tons locaux et une espèce de modelé, qui consiste à cerner le clair au centre de la forme et à mettre toujours l’ombre au contour des deux côtés. Le peintre qui