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pas qu’on reprenne en sous-œuvre ses institutions, qu’on bouleverse son organisation administrative sous prétexte de l’améliorer et qu’on introduise partout des innovations radicales ; mais elle n’a pas moins d’éloignement pour un esprit de routine rebelle à toute amélioration et dédaigneuse de toute réforme. Il y a dans le sein du parti conservateur des hommes dont les préjugés enracinés, dont les intérêts personnels répugnent à tous changemens, même les plus mesurés et les plus nécessaires ; il y en a parmi les agriculteurs, il y en a parmi les manufacturiers. Ce n’est pas d’eux, pas plus que de certains théoriciens exclusifs, que nous voudrions voir la majorité recevoir le mot d’ordre. Il y a un milieu entre l’utopie et l’immobilité. Le parti conservateur ne saurait oublier que, si dans son sein il a vu s’agiter quelques esprits inquiets, brouillons, il a dans ses rangs des hommes de bonne foi, dont le zèle et l’activité cherchent une application, dont le talent, encore inexpérimenté, travaille à se faire jour, aspire à être utile : louable ambition qu’il serait malhabile d’étouffer, tendances excellentes qu’il faut se garder de confondre dans la même réprobation que les manies d’intrigue et d’agitation stérile. Les prétentions pullulent ; le talent ou plutôt la continuité du talent est rare. Beaucoup de promesses, beaucoup d’espérances, peu de résultats. Aussi, tout ce qui cherche à se produire d’une manière sincère et loyale, il faut l’encourager, et réserver les sourires ironiques pour les ambitions déraisonnables et les cyniques convoitises. Si l’on avait la moindre illusion sur la richesse de notre époque en aptitudes politiques, ce qui se passe sous nos yeux pourrait nous éclairer. N’y a-t-il pas disette d’hommes véritablement capables ? A chaque vacance d’un poste important, à chaque vide que font les ravages du temps ou les vicissitudes de la politique, on retombe dans un embarras cruel ; après avoir beaucoup regardé autour de soi, on arrive à grand’peine à substituer à des notabilités légitimes d’estimables médiocrités. Que le parti conservateur médite le spectacle qui lui a été donné par la crise que nous venons de traverser. A-t-il été facile de recomposer le ministère ? Cependant le parti conservateur est nombreux ; mais, dans ses rangs, il y a des hommes fatigués, et, à côté de ceux-là, il y en a d’inexpérimentés qui ont besoin de mûrir à l’école des affaires.

Cette école, pourquoi le gouvernement ne songerait-il pas à l’élargir ? pourquoi ne dédoublerait-il pas quelques ministères ? pourquoi ne créerait-il pas de nouveaux sous-secrétaires d’état ? C’est affermir le pouvoir que d’en étendre les bases, que d’augmenter l’élite de ceux qui peuvent le représenter et le servir utilement. Il est temps de songer à lever pour ainsi dire un second ban d’hommes politiques, si l’on veut, dans l’avenir, conserver le pouvoir aux principes et aux doctrines de l’opinion conservatrice. D’ailleurs, les problèmes à résoudre sont aussi nombreux que les hommes semblent rares. Économie politique, finances, administration, questions coloniales, tout veut être laborieusement étudié, non pas, nous l’avons déjà dit, pour tout changer, mais pour arriver à un discernement judicieux et réfléchi de ce qui doit être réformé, de ce qui veut être maintenu. C’est quand des hommes appliqués et compétens ont réuni sur des sujets difficiles et controversés assez de documens et de lumières, que le pouvoir est vraiment en situation de résister soit aux préjugés et à l’égoïsme qui voudraient perpétuer ici des abus, là un monopole, soit à l’entraînement téméraire d’esprits plus chimériques qu’utilement féconds. Cette ardeur d’investigation