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M. le comte Bresson ait appréhendé, au dernier moment, de changer de terrain et de quitter la sphère diplomatique, dans laquelle il a su se faire un nom, pour les épreuves de la vie parlementaire et ministérielle. On pouvait s’attendre à trouver plus de résolution chez M. de Bussière, qui, depuis quelques années, paraissait chercher les occasions de se produire et d’entrer aux affaires. Ni M. le marquis de Laplace ni M. le général Marbot n’ont pu se déterminer à devenir ministres de la guerre. Le cabinet a compris qu’il ne pouvait rester en échec devant ces tergiversations, et que, dût-on lui reprocher d’aller chercher ses ministres en province et à l’étranger, il devait sur-le-champ s’adjoindre d’autres hommes dont les acceptations, au moins deux sur trois, ne fussent pas un instant douteuses. Les trois ministres actuels des travaux publics, de la guerre et de la marine vont faire leur début dans les affaires ; politiquement, ce sont des hommes nouveaux, qu’il est de la plus stricte équité d’attendre à l’œuvre avant de les juger. Nous ne déclarerons pas M. Jayr incapable d’être ministre parce qu’on le tire de la première préfecture de France pour l’appeler à la direction des travaux publics : serait-ce par hasard un titre à la défaveur de l’opinion, dans une société démocratique, que d’être le fils de ses œuvres, de s’être élevé peu à peu au premier rang par ses services, après avoir eu pour point de départ une situation obscure ? Nous renverrons ceux qui seraient tentés de blâmer le choix du nouveau ministre de la guerre à une autorité qui ne saurait être suspecte. Un des chefs les plus éminens de l’opposition ne craignait pas de dire tout haut, ces jours derniers, qu’il n’y avait pas de ministère qui ne dût s’honorer d’avoir dans ses rangs le général Trézel. L’interim de la marine est en ce moment entre les mains de M. le ministre des affaires étrangères, en attendant la présence à Paris de M. le duc de Montebello, dont le cabinet tient l’acceptation pour assurée. Ce ne sera pas la première fois que le département de la marine sera confié à un diplomate. Il avait été question un moment de dédoubler ce département, en créant un ministère spécial des colonies : on ne s’est pas cette fois arrêté à cette idée, à laquelle il faudra bien donner suite un jour.

Pour revenir à la question politique, nous ne dirons pas avec l’opposition que la chambre a désormais devant elle une administration nouvelle, et que le cabinet du 29 octobre a fait place au ministère du 9 mai 1847 ; mais nous pensons que, pour la majorité et le ministère, il est temps, après quatre mois de tâtonnemens et de fautes, d’entrer dans une phase nouvelle de ferme et prévoyante conduite. Nous n’avons pas dissimulé les fautes ; nous les avons signalées tant chez les conservateurs que dans le cabinet : grace au ciel, elles ne sont pas irréparables ; mais il est temps d’y mettre un terme. Si puissant, si considérable que s’estime un parti, il ne lui est pas donné de se diviser et de laisser l’anarchie l’envahir impunément. Depuis un mois surtout, le parti conservateur joue un jeu périlleux et tout-à-fait contraire à ses principes, à ses intérêts, à ses habitudes ; il a, par son attitude, inquiété les esprits et dérouté la confiance. Les conservateurs n’ont pas renversé le ministère, mais ils ont jeté la déconsidération sur le pouvoir, les uns par des attaques sans mesure, les autres par une apathique indifférence. Il faut sortir de ces deux extrêmes. Il nous semble que, lorsque la France électorale a envoyé sur les bancs du Palais-Bourbon une majorité aussi imposante, cette majorité, ainsi retrempés et accrue, ne saurait se méprendre sur les vœux, sur les instincts et les besoins du pays. La France ne veut