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de ces points le ministère se trouva pris un peu au dépourvu, non pas par l’opposition, mais vis-à-vis de ses propres amis. Dans la commission de l’adresse, il n’y avait point d’opposans : cependant le ministère se vit en face d’exigences auxquelles il ne fut pas complètement en mesure de répondre. Ne lui demanda-t-on pas sur quelles réformes pratiques et utiles il avait arrêté sa pensée et pris un parti, par quels projets de loi importans il devait occuper la chambre ? Ce fut pour lui un premier inconvénient de ne pas remplir l’attente du nouveau parlement. Dans ses arrangemens, dans ses calculs pour la session, il n’avait pas suffisamment tenu compte de l’impatience, de l’activité naturelle d’une chambre récemment élue, qui a hâte d’affirmer son esprit et son pouvoir.

Il y avait et il y a encore pour le cabinet une autre cause d’affaiblissement qui devait devenir sensible sitôt que des difficultés se produiraient. Nous voulons parler de l’absence d’une direction une, d’une direction visiblement imprimée au ministère par un président réel. Nous n’émettons pas aujourd’hui cette idée pour la première fois ; seulement aujourd’hui tout le monde est frappé de ce qui n’avait préoccupé d’abord que quelques esprits prévoyans. Rien ne remplace dans un cabinet une autorité dirigeante officiellement attribuée à celui qui est incontestablement appelé à l’exercer par ses talens et par ses services. Sans doute la principale influence appartient toujours dans un conseil à certaines supériorités ; mais il est des circonstances où l’influence ne suffit pas, où il faut un pouvoir légalement reconnu, devant lequel toutes prétentions puissent et doivent s’effacer avec une sécurité complète pour l’amour-propre de chacun. L’influence et le pouvoir sont deux choses fort distinctes : c’est ce qu’on n’ignore pas dans deux grands pays libres, en Angleterre et en Amérique. Un jour on sollicitait vivement Washington, qui avait été élevé deux fois à la présidence, d’accepter une troisième candidature pour la première place de la république ; Washington s’y refusait, avec fermeté, et il répondait à ceux qui lui vantaient son influence sur ses concitoyens : Oui, j’ai toujours de l’influence, mais ma force de gouvernement est usée. Influence, not goverment.

Si le cabinet, dans ces derniers temps, eût été réellement présidé, il eût échappé à bien des inconvéniens. D’abord la présence d’un chef ayant autorité pour diriger ses collègues, et, dans l’occasion, pour répondre en leur nom, eût prévenu, amorti bien des attaques ; puis elle eût rendu plus facile un remaniement, si on n’avait pu éluder la nécessité d’une modification partielle. Quand cette unité, quand cette prééminence n’existent pas, chacun ne consulte guère que ses convenances, parce qu’il cherche en vain un point d’appui suffisant : ont vit à l’aventure, on est à la merci du hasard et de toutes les suggestions. Avec une présidence effective, on n’eût point vu des ministres s’isoler dans leurs départemens et faire presque mystère à leurs collègues de mesures importantes qui intéressaient tout le cabinet ; on eût peut-être ainsi échappé à la nécessitée toujours douloureuse d’un remaniement. En se déterminant à une modification partielle dans ces derniers jours, a-t-on résolu la véritable difficulté de la situation ? On pense bien que ce n’est pas sans s’être assuré du consentement des personnes sur lesquelles il avait jeté les yeux pour leur confier les portefeuilles de la marine, de la guerre et des travaux publics, que le cabinet s’est séparé de trois de ses membres. Seulement, après la retraite de ces derniers, leurs successeurs désignés ont tour à tour retiré leur acceptation. Nous concevons que