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au gouvernement représentatif ce progrès régulier par lequel on échappe tout ensemble au marasme et aux excitations fébriles. Ç’a été dès le principe l’instinct, la pensée de la chambre de 1846, de se signaler par des mesures d’amélioration, par des réformes administratives, dont le temps paraissait venu. Pour la politique proprement dite, notamment la politique étrangère, la chambre se trouvait satisfaite sur certains points, et, pour les problèmes qui restaient à résoudre, elle était sans impatience, sans passions exigeantes. Ce qui la préoccupait, c’était l’intérieur ; ce qu’elle voulait, c’était le bien, c’était le mieux dans la vie économique, dans l’organisation administrative et financière du pays. Malheureusement ces dispositions excellentes se manifestèrent avec une pétulance dont nous venons de voir les inconvéniens. Des conservateurs qui, pour les questions politiques, professaient une solidarité étroite avec le ministère, se mirent à prendre à partie tour à tour plusieurs membres du cabinet, pour leur demander compte de leur administration avec une sorte de rudesse impitoyable ; ils dirigèrent contre eux des critiques presque plus incisives que les attaques de l’opposition, qui n’avait alors, pour ainsi dire, qu’à attendre en silence les résultats de cette lutte intestine entre des hommes marchant sous le même drapeau. Le gros de la majorité ne réprimait pas ces écarts d’un zèle trop impétueux ; la majorité semblait voir avec indifférence les agressions ardentes auxquelles quelques ministres étaient en butte, et cette contenance impassible était pour les assaillans comme un encouragement nouveau. Enfin le cabinet lui-même, dans la personne de ses principaux représentans, parut d’abord ne pas apercevoir les dangers d’une situation semblable ; il ne voyait pas dans tout cela de questions politiques proprement dites, et sa sécurité était entière. Lui aussi resta spectateur immobile des assauts livrés à quelques-uns de ses membres par les vivacités de plusieurs conservateurs. Qu’arriva-t-il ? Abandonnés à eux-mêmes dans des circonstances vraiment critiques, quelques ministres eurent des revers de discussions et de tribune : en défendant mal leur situation, non-seulement ils l’empirèrent, mais ils compromirent de la manière la plus grave le cabinet auquel ils appartenaient. A côté d’eux, on ouvrit enfin les yeux, on se réveilla, et ce fut pour les sacrifier. C’est ainsi qu’une modification partielle du cabinet, qui d’abord, dans la pensée des plus habiles, devait être mûrie lentement pour n’être accomplie que dans l’intervalle de la session, est devenue brusquement une nécessité fâcheuse à laquelle on a cru devoir céder.

Par quelle raison principale les rapports mutuels de la majorité et du ministre se sont-ils ainsi trouvés pervertis ? Par un malentendu, par une méprise du cabinet qui remonte au début de la session. Le ministère, qui pendant l’été avait concentré toutes ses préoccupations et tous ses efforts sur l’affaire des mariages espagnols, crut trop qu’il lui suffirait pour défrayer la session, pour satisfaire les esprits, de présenter aux chambres un résultat qu’il estimait considérable. On sut gré au cabinet de la décision, de la fermeté qu’il avait déployées dans cette circonstance importante, de la résistance qu’il avait opposée aux prétentions et aux artifices de la politique anglaise ; mais l’affaire espagnole, quelque gravité qu’on pût lui reconnaître, ne pouvait jeter dans l’ombre et dans l’oubli toutes les autres questions, surtout celles pour lesquelles la chambre se croyait une mission particulière, les questions intérieures, les questions de réforme administrative et financière, et qu’elle voulait aborder sur-le-champ. Or, sur plusieurs