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trop court, et on y voudrait une prolongation de cadence qui le ferait mieux goûter. Quant à la marche hongroise qui termine la première partie, et dont le thème n’est pas de l’invention de M. Berlioz, c’est un déchaînement effroyable de tous les instrumens et de tous les timbres sur un rhythme fortement accusé. L’idée principale est mal préparée, mal conduite, et revient trop souvent ; la stretta qui en forme la péroraison, par l’amoncellement monstrueux des bruits les plus étranges, réveille l’idée de la marche tumultueuse d’une horde de barbares. Que cela est loin pourtant de la marche turque des Ruines d’Athènes de Beethoven !

Un chœur de chrétiens chantant l’hymne de Pâques ouvre la seconde partie. Ici, comme partout où il s’agit de développer un motif par des nuances délicates, M. Berlioz est resté court, et on ne peut louer que sa bonne volonté ; mais ce qui nous a fort étonné, c’est de voir un compositeur si épris du fantastique échouer complètement dans les fameuses chansons du Rat et de la Puce. Cela manque de rondeur, d’entrain et de gaieté, et M. Berlioz a perdu une belle occasion de nous donner, une fois pour toutes, le sublime du grotesque. Il a été beaucoup plus heureux dans le morceau symphonique destiné à peindre le balancement des esprits de l’air évoqués par Méphistophélès autour de Faust endormi. Il y a dans ce passage des détails charmans, et les sons expirans de la harpe qui le terminent invitent doucement à la rêverie. Quel dommage que l’idée mélodique qui supporte ces jolies arabesques d’instrumentation soit empruntée à un chœur de la Nina de Paisiello : Dormi, o cara ! — Nous passerons vite sur la troisième partie, où il n’y a d’un peu supportable que quelques mesures d’un menuet dansé par les sylphes devant la porte de Marguerite, et le mouvement d’orchestre qui exprime l’agitation de Faust pénétrant dans la chambre de sa bien-aimée pendant la nuit. Rien de plus étrange que la chanson du Roi de Thulé, constamment écrite dans les notes les plus élevées et les plus criardes de la voix de soprano et dans un rhythme haché, qui fait de la langue française une langue toute particulière à M. Berlioz.

La quatrième et dernière partie commence par cette fameuse ballade de Marguerite, que la poésie de Goethe et la musique de Schubert ont rendue immortelle et populaire. La ballade de M. Berlioz ne méritera jamais ni cet excès d’honneur ni cette indignité. La critique peut citer le premier couplet, fort bien préparé par une ritournelle, que chante le cor anglais : elle doit renoncer à parler du reste. Le drame se termine dignement par un galop infernal, où le compositeur a voulu imiter très sérieusement le bruit de deux chevaux noirs emportant à travers l’espace Faust et son créancier Méphistophélès.

Telle est cette composition où M. Berlioz a défiguré l’une des plus grandes conceptions de la poésie moderne. Il n’a rien compris à ce drame de l’esprit et du sentiment, où Faust, poussé au délire par l’orgueil de la science et l’isolement d’une raison superbe, ne trouve un instant de bonheur qu’en reposant sa tête enflammée sur le cœur chaste et pur de Marguerite. Il a transformé cette fille adorable, cet idéal de l’amour, de la pudeur et de la mélancolie, en une vulgaire héroïne, qui divulgue le secret de son ame en s’abandonnant à toutes les exagérations du mélodrame. M. Berlioz a pris au sérieux quelques puérilités excentriques que le poète a semées çà et là au fond de son tableau, pour mieux faire ressortir la couleur de la société allemande au XVIe siècle, où s’accomplissent les