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Elle a pourtant subi la loi commune et a commencé aussi par payer un tribut à cette curiosité des sens, qui est le caractère de l’enfance. Dès la fin du XIVe siècle, alors que le rhythme se dégage à peine du milieu des grosses notes du plain-chant, on essaie déjà de reproduire quelques phénomènes sonores de la nature matérielle. Dans les madrigaux du XVIe siècle, on trouve souvent des imitations grossières du murmure des ruisseaux, du gazouillement des oiseaux et du sifflement du vent à travers les arbres ; ces imitations persistent jusque dans les cantates de Scarlati et de Porpora. Avec les progrès de l’instrumentation et les ressources puissantes de l’orchestre s’accrurent aussi les prétentions de la musique pittoresque. Les compositeurs s’appliquèrent à l’envi à reproduire le bruit du tonnerre et du canon, le cri de certains animaux, le chant des oiseaux, le murmure des eaux, etc. On trouve des imitations de ce genre, souvent très naïves, dans les opéras de Claude Monteverde et de ses successeurs, dans ceux de Lully, de Rameau, de Gluck, de Grétry et dans toutes les grandes partitions modernes. Enfin, dans presque toutes les symphonies connues, dans une foule de morceaux pour l’orgue, pour le piano ou pour tout autre instrument, il y a des passages plus ou moins longs de musique imitative. Parmi les œuvres capitales où l’imitation des phénomènes matériels par la musique se développe sur de grandes proportions, nous citerons la Création et les Saisons d’Haydn, l’ouverture du Jeune Henri de Méhul, la Symphonie héroïque et surtout la Symphonie pastorale de Beethoven, cantique de grace qui semble célébrer l’hyménée de l’esprit humain et de la nature, si long-temps désunis par l’austérité du spiritualisme chrétien.

Mais, hâtons-nous de le dire, l’imitation de quelques phénomènes de la nature matérielle ne doit occuper qu’une très petite place dans un art destiné avant tout à toucher le cœur et à frapper l’imagination. Ce n’est qu’un simple accessoire de mise en scène sur lequel il ne faut pas trop insister. La musique, cette arithmétique secrète de l’ame, comme Leibnitz l’a définie après Pythagore[1], doit éviter les détails minutieux qui pourraient l’avilir et montrer son impuissance. Elle doit se contenter d’être le langage mystérieux et sublime du sentiment.

Swift, qui s’est moqué de tant de choses, n’a pas oublié de se moquer aussi de la musique imitative. Il fit les paroles d’une cantate qu’il envoya à son ami le docteur Ecclin, pour qu’il la mît en musique, en lui recommandant de bien imiter le trot, l’amble, le reniflement et le galop de Pégase. C’est ce que M. Berlioz a tenté de faire aussi, de nos jours, dans son drame-symphonie de Faust, la dernière de ses productions et la seule dont nous nous proposions de dire ici quelques mots, parce qu’elle résume les défauts et les qualités de ce compositeur. Il y a déjà très long-temps que M. Berlioz s’est épris d’une passion malheureuse pour la grande conception de Goethe, car la partition qu’il nous a fait entendre cet hiver sur ce sujet, et qu’il a eu la modestie de nous donner comme une inspiration fraîchement éclose, est composée et même gravée depuis une quinzaine d’années. Elle fit, lors de sa première apparition, si peu d’effet sur les élus conviés à l’entendre, que M. Berlioz a sans doute pensé qu’il n’y avait aucun inconvénient

  1. Musica est exercitium arithmeticoe occultum nescientis se numerare animi. Leib, in Epist., ch. IV.